Molière, Dom Juan : résumé, personnages et analyse

Dom Juan - le séducteur libertin et philosophe

Dom Juan, protagoniste éponyme de la pièce, incarne le libertinage sous toutes ses formes - morale, religieuse et intellectuelle.

Aristocrate issu de la haute noblesse espagnole, il se distingue par son mépris flagrant des conventions sociales et religieuses de son époque.

Sa quête insatiable de conquêtes féminines dépasse le simple désir charnel pour s'élever au rang de philosophie personnelle.

Pour Dom Juan, séduire n'est pas seulement un plaisir, mais un art minutieux qu'il pratique avec un détachement presque scientifique.

Un libertin lucide et théoricien de sa révolte

L'originalité du personnage réside dans sa lucidité intellectuelle exceptionnelle.

Dom Juan ne se contente pas de transgresser les règles ; il théorise sa rébellion contre l'ordre établi.

Sa célèbre profession de foi « Je crois que deux et deux sont quatre » reflète son rationalisme radical qui s'oppose frontalement à la pensée religieuse dominante.

Cette dimension philosophique fait de lui bien plus qu'un simple libertin : il devient le porte-drapeau d'une modernité naissante qui remet en question les dogmes traditionnels.

Une psychologie complexe et troublante

La psychologie de Dom Juan révèle une complexité fascinante.

Derrière son apparente assurance se cache un être tourmenté par un besoin compulsif de conquérir, comme si chaque nouvelle séduction comblait momentanément un vide existentiel.

Son éloquence remarquable lui permet de manipuler son entourage avec une virtuosité troublante.

Il adapte parfaitement son discours à chaque interlocuteur, séduisant aussi bien les paysannes naïves que les femmes aristocratiques.

Face à la mort : défi jusqu'à l'extrême

Son rapport à la mort, notamment à travers sa confrontation avec la statue du Commandeur, dévoile les limites de son libertinage.

Face à cette manifestation surnaturelle, Dom Juan maintient jusqu'au bout sa posture de défi radical, refusant même devant l'évidence toute repentance.

Cette obstination, qui le conduira à sa perte, révèle la dimension tragique d'un personnage incapable de renoncer à ce qui constitue son identité profonde.

Sganarelle - le valet moralisateur et témoin impuissant

Sganarelle représente bien plus qu'un simple valet comique dans la tradition moliéresque.

Serviteur de Dom Juan, il incarne la conscience morale populaire face aux excès de son maître.

Personnage profondément ambivalent, Sganarelle est tiraillé entre sa dépendance économique envers Dom Juan et sa désapprobation morale des actions de celui-ci, créant ainsi une tension dramatique constante qui traverse toute la pièce.

Une relation maître-valet marquée par l'ambivalence

La relation entre Sganarelle et Dom Juan constitue un axe fondamental de l'œuvre.

Contrairement à l'affirmation simpliste que Sganarelle serait "le seul véritable ami" de Dom Juan, leur rapport est plus complexe et asymétrique.

Sganarelle subit son maître plus qu'il ne l'accompagne volontairement, tout en développant une forme d'attachement paradoxal envers lui.

Cette relation maître-valet illustre brillamment les contradictions sociales de l'époque.

Une intelligence lucide malgré ses maladresses

L'intelligence de Sganarelle mérite d'être soulignée.

Sa perspicacité lui permet de percer à jour les stratagèmes de son maître tout en demeurant impuissant à les contrecarrer.

Cette célèbre tirade du ridicule dans l'acte V scène 2 démontre sa capacité à formuler des jugements moraux pertinents, même si leur expression est souvent maladroite :

« Le ridicule est un petit grain de folie qui gâte tout. »

Sa pensée s'exprime dans un langage populaire qui contraste avec l'éloquence aristocratique de Dom Juan, créant un effet comique qui masque parfois la profondeur de ses réflexions.

La fin pathétique de Sganarelle

La dimension tragique de Sganarelle se révèle pleinement dans le fameux :

« Mes gages ! Mes gages ! »

qui conclut la pièce.

Cette exclamation dévoile toute l'ambiguïté du personnage : malgré sa conscience morale, ses préoccupations matérielles prennent finalement le dessus face à la disparition de son maître.

Cette réaction, à la fois comique et poignante, souligne la condition précaire des domestiques dans la société du XVII^e siècle.

Done Elvire - de l'amante abandonnée à la figure de la rédemption

Done Elvire incarne la femme noble trahie par Dom Juan après avoir été séduite et épousée.

Son parcours dans la pièce est particulièrement significatif, marquant une évolution psychologique et spirituelle remarquable qui en fait bien plus qu'une simple victime du séducteur.

Son personnage illustre l'épineuse question du mariage et de l'honneur féminin dans la société aristocratique du XVII^e siècle.

Un abandon aux conséquences multiples

L'abandon de Done Elvire par Dom Juan après qu'elle ait quitté le couvent pour lui confère au personnage une dimension dramatique intense.

Cette trahison n'est pas simplement sentimentale, mais également religieuse et sociale, puisqu'Elvire a renoncé à ses vœux religieux pour suivre celui qu'elle aimait.

La transgression est donc double, renforçant le caractère scandaleux du comportement de Dom Juan tout en soulignant le sacrifice consenti par Elvire.

La transformation spirituelle de Done Elvire

La transformation spirituelle d'Elvire constitue l'un des arcs narratifs les plus puissants de la pièce.

D'épouse passionnée et vindicative au début, elle évolue vers une figure presque mystique qui vient annoncer à Dom Juan sa dernière chance de repentir.

Cette métamorphose n'est pas sans rappeler certaines figures féminines de la tradition chrétienne, oscillant entre l'amour terrestre et l'amour divin.

Son détachement final des passions humaines contraste puissamment avec l'obstination libertine de Dom Juan.

Une noblesse morale éclatante

La noblesse morale d'Elvire se manifeste par sa capacité à transcender sa douleur personnelle pour se préoccuper du salut spirituel de celui qui l'a trahie.

Cette grandeur d'âme la distingue radicalement des autres femmes séduites par Dom Juan, faisant d'elle un personnage à part dont la présence, bien que limitée à quelques scènes, irradie sur l'ensemble de l'œuvre comme un contrepoint éthique au libertinage du protagoniste.

Gusman - le dévoué écuyer d'Elvire

Gusman, écuyer fidèle de Done Elvire, n'apparaît que brièvement dans la pièce mais remplit une fonction dramatique importante.

Sa présence dès l'ouverture de la pièce permet d'introduire indirectement le personnage de Dom Juan à travers le dialogue qu'il entretient avec Sganarelle.

Cette conversation initiale pose les jalons de l'intrigue et offre au spectateur un premier portrait du libertin par le biais du regard de ses victimes.

Une incarnation de la fidélité bafouée

La loyauté indéfectible de Gusman envers sa maîtresse contraste symboliquement avec l'inconstance de Dom Juan.

Ce personnage secondaire incarne les valeurs traditionnelles de fidélité et d'honneur qui seront systématiquement bafouées par le protagoniste tout au long de la pièce.

Son indignation face au comportement de Dom Juan reflète la réaction morale que Molière attend de son public.

Dom Carlos et Dom Alonse - l'honneur aristocratique face au libertinage

Les frères de Done Elvire représentent la dimension chevaleresque et l'honneur familial dans la pièce de Molière.

Leur poursuite de Dom Juan s'inscrit dans la tradition espagnole de la vengeance d'honneur, thème récurrent dans le théâtre du Siècle d'Or qui influence considérablement la dramaturgie de Dom Juan.

Leur présence ajoute une menace concrète et humaine aux dangers qui guettent le protagoniste.

Dom Carlos : un dilemme entre devoir et gratitude

Dom Carlos se distingue par une complexité morale particulière.

Lorsqu'il découvre que Dom Juan a sauvé sa vie, il se retrouve déchiré entre sa dette d'honneur envers son sauveur et son devoir familial de venger sa sœur.

Ce dilemme moral enrichit considérablement le personnage et crée une tension dramatique supplémentaire.

Sa décision d'accorder un délai à Dom Juan avant de chercher vengeance illustre la rigueur du code d'honneur aristocratique.

Dom Alonse : la rigidité de l'honneur familial

Dom Alonse, plus intransigeant que son frère, incarne une vision plus rigide de l'honneur familial.

Son impatience à obtenir réparation souligne la gravité de l'offense commise par Dom Juan dans le contexte des valeurs nobiliaires de l'époque.

La différence d'attitude entre les deux frères permet à Molière de nuancer sa représentation de l'aristocratie espagnole, évitant ainsi les écueils du simple stéréotype.

Une confrontation révélatrice des conceptions de la noblesse

La confrontation entre ces personnages et Dom Juan met en lumière différentes conceptions de la noblesse : d'un côté, une noblesse fondée sur l'honneur, le respect des engagements et la protection familiale ; de l'autre, une noblesse qui ne voit dans son statut qu'un privilège autorisant tous les excès.

Cette opposition idéologique enrichit considérablement la dimension critique de la pièce.

Francisque - le mendiant et la question de la foi

Francisque, le mendiant que rencontrent Dom Juan et Sganarelle, occupe une place symbolique essentielle dans l'économie morale de la pièce.

À travers ce personnage apparemment mineur, Molière aborde les questions fondamentales de la foi, de la charité et de la tentation.

La scène confrontant Dom Juan à ce pauvre homme constitue un moment clé pour comprendre la profondeur du cynisme du protagoniste.

La pauvreté matérielle contre la richesse spirituelle

La pauvreté matérielle de Francisque contraste puissamment avec sa richesse spirituelle.

Sa foi inébranlable, que Dom Juan tente de corrompre en lui proposant de l'argent contre un blasphème, incarne une forme de résistance morale face au libertinage aristocratique.

Son refus, malgré sa misère, de renier Dieu pour un louis d'or représente une victoire symbolique de la conscience populaire sur le pouvoir corrupteur de l'argent et du privilège.

Dom Juan, corrupteur d'âmes

L'épisode du mendiant illustre parfaitement la dimension philosophique du libertinage de Dom Juan.

Au-delà de la simple provocation, son désir de faire blasphémer le pauvre révèle sa volonté systématique de détruire toute forme d'authenticité morale ou religieuse.

Ce faisant, Dom Juan apparaît comme un corrupteur d'âmes dont l'objectif ultime est de valider son propre nihilisme en entraînant autrui dans sa chute.

Charlotte et Mathurine - les paysannes convoitées

Charlotte et Mathurine représentent les victimes paysannes de la séduction aristocratique.

Leur présence dans la pièce permet à Molière d'étendre sa critique sociale en montrant comment le libertinage nobiliaire s'exerce également aux dépens des classes populaires.

La scène où Dom Juan tente de les séduire simultanément constitue un modèle de comédie satirique qui dévoile les mécanismes manipulateurs du séducteur.

Charlotte : entre naïveté et bon sens

La naïveté apparente de Charlotte masque une certaine lucidité.

Si elle est sensible aux flatteries de Dom Juan et à la perspective d'une ascension sociale par le mariage, elle n'est pas dénuée d'intelligence pratique ni de bon sens.

Son hésitation entre la sécurité d'une union avec Pierrot et le rêve illusoire proposé par Dom Juan illustre les dilemmes réels auxquels étaient confrontées les femmes des classes populaires face aux promesses souvent fallacieuses des nobles.

Mathurine : la rivalité instrumentalisée

Mathurine, rivale de Charlotte pour les attentions de Dom Juan, complète ce tableau des relations entre classes sociales.

La rivalité entre les deux paysannes, habilement entretenue par le séducteur, révèle comment le pouvoir aristocratique s'exerce également en semant la division au sein même des communautés rurales.

Cette dimension sociologique enrichit considérablement la portée critique de la pièce.

Un double jeu comique et cruel

La scène du double jeu de Dom Juan avec Charlotte et Mathurine constitue un chef-d'œuvre de construction dramatique.

La virtuosité avec laquelle le séducteur maintient l'illusion auprès des deux femmes illustre à la fois son intelligence manipulatrice et son mépris fondamental pour ses victimes.

Ce passage, profondément comique dans sa forme, cache une critique acerbe des relations de pouvoir entre classes sociales.

Pierrot - le rival rustique et sauveur paradoxal

Pierrot incarne le jeune paysan authentique, fiancé de Charlotte, dont la sincérité contraste avec l'artificialité de Dom Juan.

Son rôle dramatique est double : d'abord sauveur paradoxal de celui qui deviendra son rival, puis victime impuissante de la séduction aristocratique.

Ce personnage apparemment simple véhicule une critique sociale subtile sur les rapports entre noblesse et paysannerie.

Un sauvetage à l'ironie cruelle

Le sauvetage de Dom Juan et Sganarelle par Pierrot crée une situation d'ironie dramatique puissante.

En arrachant le séducteur à la noyade, le paysan devient involontairement l'artisan de son propre malheur, illustrant la cruauté du destin mais aussi l'ingratitude fondamentale du libertin qui ne manifeste aucune reconnaissance envers son sauveur.

Cette ingratitude s'inscrit dans la longue liste des transgressions morales du protagoniste.

La naïveté sincère face à l'artifice

La naïveté linguistique de Pierrot, qui s'exprime dans un langage paysan stylisé, cache une authenticité affective que Molière valorise implicitement.

Son amour sincère pour Charlotte, exprimé sans les artifices rhétoriques de Dom Juan, pose la question de la véritable nature du sentiment amoureux.

L'opposition entre l'amour rustique mais fidèle de Pierrot et les promesses grandiloquentes mais mensongères de Dom Juan constitue l'un des axes moraux de la pièce.

La statue du Commandeur - la justice divine matérialisée

La statue du Commandeur représente la dimension surnaturelle et métaphysique de la pièce.

Figure de la vengeance divine, elle incarne la justice transcendante qui s'abat finalement sur Dom Juan après que toutes les instances humaines - famille, épouse, créanciers - ont échoué à le ramener dans le droit chemin.

Sa présence spectrale transforme la comédie en drame métaphysique aux accents presque fantastiques.

Le meurtre du Commandeur : un acte fondateur

L'histoire du Commandeur, noble tué en duel par Dom Juan, fait écho aux pratiques aristocratiques de l'époque tout en les inscrivant dans une perspective morale plus large.

Ce meurtre initial, qui précède l'action de la pièce, établit Dom Juan comme un transgresseur non seulement des lois morales mais aussi des lois humaines, préparant ainsi sa confrontation finale avec la justice divine.

Un traitement théâtral saisissant

Le traitement dramaturgique de la statue, inspiré de la tradition espagnole mais réinventé par Molière, crée un effet théâtral saisissant.

L'animation de cette figure de pierre, ses hochements de tête et son invitation macabre constituent un moment spectaculaire qui a marqué l'histoire du théâtre.

Cette matérialisation du surnaturel sur scène représente un défi scénique audacieux pour l'époque.

Un symbole religieux et philosophique majeur

La statue du Commandeur fonctionne également comme un symbole religieux puissant.

Représentant la permanence des valeurs morales face à l'inconstance libertine de Dom Juan, elle incarne la certitude que la justice divine, même différée, finit toujours par s'accomplir.

Cette dimension eschatologique confère à la pièce une profondeur philosophique qui dépasse le simple divertissement théâtral.

La Violette, Ragotin et Monsieur Dimanche : analyse des personnages secondaires

La Violette et Ragotin, laquais de Dom Juan, représentent l'entourage servile du grand seigneur libertin.

Bien que leurs rôles soient mineurs, ils contribuent à illustrer le fonctionnement de la maisonnée aristocratique et la façon dont Dom Juan exerce son autorité sur ses domestiques.

Leur présence discrète mais fonctionnelle participe à l'économie générale de la pièce en assurant la fluidité de certains enchaînements scéniques.

Monsieur Dimanche : la bourgeoisie face à la noblesse

Monsieur Dimanche incarne la figure du créancier bourgeois face à l'aristocratie dépensière.

La célèbre scène où Dom Juan le reçoit avec une politesse exagérée tout en évitant soigneusement d'aborder la question de ses dettes constitue un modèle de comédie sociale.

Cette séquence illustre parfaitement les rapports de force entre noblesse et bourgeoisie, ainsi que la capacité du libertin à manipuler le langage social à son avantage.

Le libertinage économique de Dom Juan

La scène avec Monsieur Dimanche dévoile également un aspect crucial du libertinage de Dom Juan : son rapport transgressif non seulement à la morale sexuelle et religieuse, mais aussi aux obligations financières et aux conventions économiques.

En refusant de payer ses dettes tout en maintenant les apparences de la courtoisie, Dom Juan étend son mépris des règles à toutes les sphères de la vie sociale.

La Ramée et le Spectre - figures de l'avertissement

La Ramée, spadassin au service de Dom Juan, illustre la dimension violente du personnage principal et son recours possible à des hommes de main pour régler certains problèmes.

Ce personnage mineur mais significatif rappelle que le libertinage aristocratique pouvait s'accompagner d'une violence physique bien réelle, dimension que la séduction verbale de Dom Juan tend parfois à faire oublier.

Le Spectre : symbole du temps et de la finitude

Le Spectre qui apparaît à Dom Juan sous la forme d'une femme voilée constitue l'un des avertissements surnaturels annonçant la punition divine imminente.

Cette apparition énigmatique, se transformant en figure du Temps avec sa faux, introduit une dimension allégorique dans la pièce.

Elle symbolise à la fois la finitude humaine que Dom Juan refuse d'accepter et l'échéance morale qui se rapproche inexorablement pour le libertin.

Une gradation dramatique construite avec brio

L'apparition du Spectre s'inscrit dans une gradation dramatique savamment orchestrée par Molière.

Entre l'avertissement verbal d'Elvire et la punition finale par la statue du Commandeur, cette manifestation fantomatique représente une étape intermédiaire dans l'économie surnaturelle de la pièce.

Sa présence renforce la dimension métaphysique de l'œuvre tout en créant un effet théâtral spectaculaire qui devait impressionner le public du XVII^e siècle.