Publié le 20 août 2003 pour la première fois, Les âmes grises, de Philippe Claudel, un auteur français, a reçu le prix Renaudot. Partons à la découverte de ce roman contemporain traduit dans plus de trente langues.
Résumé détaillé de Les âmes grises de Philippe Claudel
Un crime terrible
Le roman se déroule pendant la Première Guerre mondiale dans une ville du Nord-est de la France épargnée par les combats, mais qui ressent leur impact. Lorsque le corps de la petite fille de Bourrache, le restaurateur local, est découvert, la ville commence à se soupçonner et à se jalouser mutuellement. Le procureur Destinat, un notable local qui fréquentait souvent le restaurant de Bourrache, devient rapidement le suspect principal. Depuis la mort de sa femme Clélis, il vit reclus et triste dans son château.
20 ans après ce terrible crime qui a été commis dans le village. Le narrateur, un policier qui a participé à l’enquête, se souvient de cet événement qui a eu lieu en décembre, 20 ans plus tôt. Belle de jour a été retrouvée sur les berges du canal près de l’usine et du château, la demeure du procureur Destinat, qui vivait seul depuis que sa jeune femme était décédée. Plusieurs suspects sont mentionnés dans l’enquête, y compris le procureur Destinat, le juge Mierck, un habitant du village, un déserteur et un ouvrier de l’usine, mais l’affaire n’a jamais été résolue et a suscité de nombreuses interrogations.
Éclaircissement de cette enquête
Le narrateur écrit dans un carnet les événements, témoignages et réactions de différentes personnes liées à une affaire survenue dans un village en bordure d’un canal. Il décrit minutieusement les lieux, les ouvriers de l’usine construite à la fin du XIXème siècle et leurs logements proches, les soldats qui traversent le village pour aller ou revenir du front, et les habitants du village qui entendent les bruits de la guerre mais ont leurs propres souffrances et secrets. Le narrateur se rappelle aussi comment cette affaire a eu un impact sur sa vie personnelle et a causé de nombreux décès, notamment celui de Lysia, l’institutrice, et du médecin. Deux déserteurs ont également été torturés et accusés à tort du meurtre. Malgré la proximité de la Première Guerre mondiale, ces événements locaux prennent le dessus dans l’esprit du narrateur et touchent les habitants du village de manière indirecte.
Mais dans les dernières pages, il révèle un terrible secret qui laisse le lecteur sans voix. Le narrateur finit par dire: “En enquêtant sur cette Affaire, j’essayais peut-être de ne pas affronter la véritable question, celle que nous refusons tous de nous poser, qui nous effraie et que nous préférons ignorer, car nos âmes ne sont ni blanches ni noires, mais grises, joliment grises…”
L’histoire de la petite maison de la ville
Le narrateur décrit la ville comme ayant un Château, une Usine, une clinique, deux écoles, une bibliothèque, de nouveaux logements et deux canaux. Le Château appartenait au père de Destinat et est habité par Destinat, Barbe et le Grave depuis la mort de ses parents et de sa femme. Le Château possède un parc et une petite maison le long de la Guerlante. Un jour, l’un des directeurs de l’Usine demande à Destinat s’il serait d’accord pour louer la petite maison aux employés de l’Usine.
Cette petite maison a été rénovée par l’Usine en 1897-1898 et a depuis accueilli de nombreux locataires, qui sont tous repartis rapidement. Ils ont tous été appelés “Le Locataire” par les autres. Destinat, le dernier locataire en date, suivait toujours la même routine: il remportait ses procès en décrivant précisément les scènes de crime, puis allait manger au Rébillon. Il aimait passer du temps à regarder le temps passer, soit derrière une fenêtre, soit sur un banc extérieur. Chaque jour, il traversait le vestibule du Château où se trouve depuis des années le portrait de Clélis.
Avant le début de la Première Guerre mondiale, il y avait eu une pénurie d’ingénieurs à l’Usine de la ville. En raison de la guerre, tous les ouvriers de la ville, soit environ 800 personnes, ont été appelés pour le service civil. Les habitants de la ville qui étaient rentrés blessés des tranchées ont eu une mauvaise opinion de ces hommes. L’instituteur de la ville, Fracasse, a été remplacé par un homme plus mobilisable qui s’est surnommé le “Contre“. Cependant, le Contre a fini par devenir fou à cause de la guerre et a été interné après avoir chanté la “Marseillaise” nu devant les élèves et avoir tenté de brûler le drapeau français. Le 13 décembre 1914, Lysia Verhareine est arrivée dans la ville et a demandé au maire de devenir l’institutrice. Malgré la réputation de la classe à cause de l’incident du Contre, Lysia n’a pas été découragée et a quitté la salle en souriant.
Le maire et Lysia V. se rendent chez Destinat, le procureur, pour demander si Lysia peut loger dans la maison du parc. Destinat accepte et Lysia s’installe dans la maison et s’intègre à la vie du village. Pendant ce temps, des coups de canon retentissent dans le village en raison de la guerre. Au printemps 1915, le narrateur fait une promenade avec une carabine et rencontre Lysia sur le coteau, en train d’observer la ligne de front et d’écrire dans un cahier en maroquin rouge. Le narrateur évite Lysia depuis cette rencontre et continue ses promenades sur le coteau, en s’asseyant là où Lysia s’était assise auparavant.
Présentation des personnages
Le narrateur de l’histoire est un policier qui a vécu de près l’Affaire qui a eu lieu dans le village. Il était marié à Clémence, qui est décédée alors qu’elle était enceinte, ce qui l’a profondément affecté et a conduit à la solitude. Il doute de la vérité sur les événements de l’Affaire et préfère vivre avec ce doute. La fin du texte laisse entendre qu’il se suicide pour rejoindre sa femme décédée.
Pierre-Ange Destinat est connu sous différents noms par différentes personnes dans le village. Il est le procureur de sa ville, et a étudié le droit à Paris avant de retourner dans sa ville natale. Il a épousé Clélis De Vincey, qui est décédée six mois après leur mariage. Il habite dans une grande maison avec ses serviteurs Barbe et Le Grave, que les habitants du village appellent le “Château“. Après la mort de son amour, il s’est enfermé dans cette maison pour vieillir. Destinat est décrit comme étant grand et sec, avec des yeux clairs, des lèvres minces et pas de moustache, un haut front et des cheveux gris. Il louait une petite maison dans son parc à des employés de l’Usine de V. Lysia Verhareine, une institutrice, a été la dernière locataire de cette maison et s’est suicidée après avoir sympathisé avec Destinat. Selon le narrateur, le procureur pourrait avoir tué Belle de Jour étant donné que cette dernière ressemblait à Clélis. Bien que nous ne soyons pas en mesure de savoir s’il l’a réellement tué, le procureur est un homme solitaire, mystérieux et détaché du monde.
Bourrache est le propriétaire du restaurant le Rébillon et il a trois filles : Aline, Rose et une troisième fille connue sous le surnom de Belle de Jour. Cette dernière est assassinée.
Belle de jour est une petite fille de dix ans qui est assassinée et retrouvée étranglée au bord du canal un matin d’hiver. Elle est connue de tout le monde dans le bourg car son père tient le meilleur restaurant de la ville. Son meurtre bouleverse tout le bourg et est connu sous le nom de “l’Affaire“.
Le gros juge Mierck est un personnage décrit comme étant le juge chargé de l’enquête sur le meurtre de Belle de jour, une petite fille assassinée dans le bourg. C’est un personnage odieux qui n’hésite pas à abuser de son pouvoir. Bien qu’il soit respecté, il n’est pas très aimé. On sait également qu’il utilise des méthodes peu avouables pour faire avouer les coupables qu’il a désignés dans cette affaire. Avec le colonel Matziev, il torture Yann Le Floc pour le forcer à avouer le crime de Belle de Jour.
Le Colonel Matziev habitait dans la maison de Bassepin. C’est un ex-colonel qui, avec le juge, enquête sur l’assassinat de Belle de Jour. Il torture Yann pour qu’il passe aux aveux.
Barbe est une employée de maison qui travaille pour le procureur et qui informe le narrateur sur le passé de Destinat et sur ce qui s’est passé entre Lysia Verhareine et lui au Château. Elle est mariée avec Le Grave qui est également au service du procureur.
Lysia Verhareine est une institutrice qui arrive dans la ville de P en 1914. Elle arrive après le passage de Fracasse et de le Contre. Elle apporte une bonne humeur, bienvenue dans cette ville sombre et divisée par la guerre. Tous les hommes étaient à ses pieds et les femmes ne parlaient que d’elle. En ayant séduit Destinat, elle a pu vivre dans une maison près du château du procureur. Ce rayon de soleil passait du temps à regarder le front de guerre où se bat l’homme qu’elle aime, Bastien Francoeur. Elle reçoit une lettre de l’armée lui annonçant la mort de Bastien et décide de se suicider dans la maison du château. Elle est trouvée par le Destinat.
Joséphine est une amie du narrateur. Elle a vu le procureur et Belle de jour le soir où celle-ci a été assassinée.
Maurice Rifolon, un jeune homme de 22 ans vivant à Paris, est accusé à tort du meurtre d’une jeune femme nommée Belle-de-jour. Rifolon, qui avait déserté l’armée française, pensait que le juge et le colonel ne le laisseraient pas en liberté et a donc faussement avoué le meurtre afin de mettre rapidement fin à la procédure, sachant qu’il serait probablement condamné à mort soit pour désertion, soit pour le meurtre. Après avoir été laissé seul dans sa cellule, Rifolon s’est finalement suicidé.
Yann Le Floc est un jeune homme de 20 ans originaire du village de Plouzagen en Bretagne. Il est arrêté et accusé du meurtre de Belle-de-jour, avec Maurice Rifolon. Cependant, il n’y a aucune preuve contre eux et ils clament tous deux leur innocence. Pendant leur interrogatoire, Yann est pris de panique et refuse de manger. Il est ensuite emmené dans le bureau du maire où Mierck et Matziev font la fête et est battu par le colonel, ce qui lui cause une blessure au visage. On l’attache à un arbre, en lui enlevant les vêtements, afin qu’il avoue. Le colonel sort à nouveau et asperge Yann avec un seau d’eau. Ce dernier avoue alors le meurtre et est ensuite exécuté pour désertion et meurtre. Plus tard dans l’histoire, on apprend qu’Alfred Vignot est à la recherche d’un tueur nommé Yann Le Floc.
Analyse d’oeuvre
Un récit anachronique
Les âmes grises de Philippe Claudel est un récit anachronique dans la mesure où le point de départ de la mémoire est antérieur au point de départ du récit. En effet, lorsque le narrateur commence son histoire, il précise : “Je ne sais pas trop par où commencer. C‘est bien difficile. Il y a tout ce temps parti, que les mots ne reprendront jamais, et les visages aussi, les sourires, les plaies. Mais il faut tout de même que j‘essaie de dire. De dire ce qui depuis vingt ans me travaille le cœur. Les remords et les grandes questions. Il faut que j‘ouvre au couteau le mystère comme un ventre, et que j‘y plonge à pleines mains, même si rien ne changera rien à rien.”.
Il y a également la présence de nombreuses pauses au sein du roman qui permettent d’expliquer les actions du narrateur “Tout ce que je vais dire maintenant, je ne l‘ai pas vu de mes yeux, mais cela ne change rien. J‘ai pris des années à rassembler les fils, à retrouver les mots, les parcours, les questions, les réponses. C‘est comme la vérité. Il n‘y a pas d‘invention. D‘ailleurs, pourquoi j‘inventerais ?”. D’autre part, Claudel se sert de ces pauses pour décrire différents personnages : Pierre Ange Destinat, Lysia Verhareine, le colonel Matziev.
La vision du narrateur
Le narrateur raconte une histoire subjective, c’est-à-dire qui présente les faits selon sa propre interprétation. Le narrateur est impliqué dans l’histoire qu’il raconte et il semble avoir un désir de montrer que le Procureur était amoureux de Lysia, peut-être pour jeter un doute sur son innocence dans les assassinats mentionnés dans le texte. Le narrateur utilise un style indirect pour raconter l’histoire, c’est-à-dire qu’il rapporte les paroles et les actions des personnages comme s’il les avait entendues de quelqu’un d’autre, en l’occurrence le maire. Le narrateur semble également avoir recueilli l’histoire de cette rencontre auprès du maire, qui était lui-même un témoin de l’événement.
Les âmes grises de Claudel traite de l’impact de la Première Guerre mondiale sur une petite communauté et de la façon dont la mort et la perte affectent les personnages du livre. La guerre est décrite comme étant omniprésente, sans pour autant être au coeur du sujet, et la couleur grise est utilisée pour symboliser l’impact dévastateur de la guerre et de la mort sur les personnages et leur vie.