Littérature

Jean Cocteau, La Machine infernale : résumé, personnages et analyse

Frontispice de l'étude de lecture sur La Machine Infernale de Jean Cocteau, avec un récapitulatif par acte, une analyse des caractères et une interprétation approfondie.
Ecrit par Les Résumés

Jouée pour la première fois le 10 avril 1934 à la Comédie des Champs-Élysées, à Paris, La Machine infernale est une pièce de théâtre en 4 actes de Jean Cocteau, un auteur français. Rédigée en 1932, elle est dédiée à Marie-Laure et à Charles de Noailles.Cocteau pensait toute son œuvre telle de la poésie : poésie de roman, poésie cinématographique, poésie de théâtre… L’auteur du 20ème siècle est un poète au sens étymologique du terme : « celui qui fait, qui crée ». Artiste avant-gardiste et contemporain, il demeure pourtant un adepte du classicisme. Cela dit, son théâtre utilise des mythes antiques de manière contemporaine dans La Machine infernale.

Chaque acte de la pièce est présenté par un monologue : la Voix. Cette dernière retrace la vie d’Œdipe, abandonné par Jocaste, sa mère, après que l’oracle d’Apollon prédisait qu’il tuerait son père, Laïus, et épouserait sa propre mère.

Résumé acte par acte de La Machine infernale de Jean Cocteau

Acte 1 : Le fantôme

Ce premier acte commence par l’intervention de la Voix qui relate la totalité du mythe. Il se déroule dans une attente marquée d’inquiétude.

Par une nuit d’orage, deux gardes veillent sur les remparts de Thèbes. Ils ont pour mission de protéger la ville contre le Sphinx. Depuis quelques mois, cette créature, postée à proximité des portes de la ville, tue les jeunes personnes qui osent s’aventurer dans ses parages. Le jeune soldat en a marre de l’inaction et désire essayer de résoudre l’énigme du Sphinx, ce que l’aîné déconseille fortement.

En réalité, les deux soldats n’attendent pas le monstre, mais plutôt le fantôme du roi Laïus qui leur rend souvent visite sur les remparts. Leur chef arrive et leur demande ce qu’est cette « histoire de fantôme ». Les deux gardes entament donc leur explication : le gentil fantôme semble être terrorisé par une chose horrible que l’on veut l’en empêcher de communiquer. Il leur est également apparu en leur demandant de prévenir la reine Jocaste ainsi que le devin Tirésias.

Ayant entendu parler du fameux fantôme, la reine arrive avec Tirésias. Au grand désarroi du chef qui veut se faire bien voir d’elle, celle-ci n’a d’yeux que pour le jeune soldat. Elle pense obtenir par lui des informations sur celui qui serait son défunt mari, peut-être même l’entendre ou l’apercevoir. Malheureusement, quand Laïus tente de se manifester, Jocaste ne perçoit rien. Lorsqu’elle s’éloigne, le fantôme désespéré, lance un dernier avertissement aux soldats, qui eux le voient : « Rapportez à la reine qu’un jeune homme approche de Thèbes et qu’il ne faut sous aucun prétexte… ». Puis le défunt roi disparaît pour toujours.

Le jeune garde veut prévenir la reine, mais son ami l’en dissuade.

Acte 2 : La rencontre d’Œdipe et du Sphinx

Ce second acte se passe dans le même temps que le premier. La scène se déroule près des ruines, sur une colline dominant Thèbes. Le Sphinx est fatigué de tuer, et on découvre que cette créature est une jeune fille en robe blanche, disposée à tomber amoureuse du prochain beau garçon qui passera. Peut-être même à se sacrifier pour le sauver. Mais Anubis, dieu de la mort égyptien, veut faire respecter les consignes imposées par les dieux : il est hors de question de s’attendrir sur les humains.

Quand Œdipe fait son apparition, elle tombe immédiatement amoureuse de lui et essaye de l’éloigner afin de lui éviter une mort certaine. Mais la froide détermination du jeune homme ainsi que sa présomptueuse conviction qu’il vaincra le monstre l’amènent à se dévoiler sous sa forme animale et à révéler son pouvoir. Anéanti par la créature qui lui inflige le même supplice pour ses précédentes victimes, il oublie sa dignité et demande grâce. Lorsqu’il se croit perdu, il apprend le secret de l’énigme de la propre bouche du Sphinx. Les liens qui le paralysaient commencent à se dénouer et il se sauve.

Insatisfait d’un tel simulacre, Anubis exige que la question soit tout de même posée. Interrogé, Œdipe donne donc la réponse que le monstre vient de lui informer. Certes, il a remporté la victoire, mais il n’a montré aucun mérite. Il augmente même son ridicule en cherchant la pose la plus avantageuse afin de porter le cadavre du Sphinx jusqu’à la ville pour prouver sa victoire.

Très heureux, il accourt vers Thèbes, vers la reine qui lui est promise et vers le royaume, oubliant celle dont il n’a pas compris ni le dévouement ni l’amour. Afin de calmer sa crise de dépit, Anubis dévoile au Sphinx qui est redevenu femme, l’avenir monstrueux attendant Œdipe. La vision en est tellement atroce qu’elle éveille la pitié dans le cœur de la Vengeresse, avatar final du Sphinx, apparaissant en apothéose sous les traits de la déesse Némésis.

Mais plus rien ne peut sauver Œdipe, même pas la compassion d’un dieu.

Acte 3 : La Nuit de noces

Cédant à leurs penchants, Œdipe et Jocaste refusent les avertissements, cependant leur amour plutôt sincère s’exprime de manière maladroite : trop de non-dits les séparent, trop de souvenirs les inquiètent et trop d’obstacles les gênent.

Après une longue journée de festivités et de cérémonies épuisantes, les deux époux se retrouvent maintenant dans la chambre nuptiale. Ils désirent ardemment réussir cet instant, attendu par Jocaste telle une renaissance, par Œdipe tels un couronnement et une initiation à l’amour. Le nouveau couple discute, Jocaste propose de retirer le berceau de son fils, qu’elle avait préservé toutes ces années. Mais Œdipe veut le garder pour leur premier enfant. Ils s’endorment et rêvent en parlant.

Selon la coutume locale, Œdipe est obligé de recevoir Tirésias alors que sa femme se prépare afin de bénir leur union. Le devin entre et met le jeune homme en garde contre de funestes présages. Il lui demande aussi s’il aime réellement la reine, car il tient à la protéger.

Furieux, Œdipe agresse Tirésias et aperçoit son avenir dans ses yeux : un mariage très heureux, quatre enfants, puis ses yeux le brûlent et il devient aveugle. Le devin le soigne et Œdipe lui explique qu’il n’est pas un vagabond et est fils d’un roi à Corinthe. Tirésias est enfin soulagé. Il lui avoue que le jeune homme lui a fait peur et sort.

La reine revient et a besoin que son mari la rassure sur sa beauté. Elle s’embrouille en pensant à son fils, au jeune soldat et à Œdipe. Elle lui demande de lui relater sa victoire sur le Sphinx. Il commence son récit, mais sa femme s’endort. Ils décident alors de se coucher un peu. Œdipe rêve qu’Anubis se trouve dans la pièce. Au même moment, Jocaste fait un cauchemar. À leur réveil, la mariée découvre les cicatrices sur les pieds de son époux. Elle se souvient alors de son fils qu’elle avait abandonné avec des pieds blessés. Œdipe s’endort à nouveau, alors qu’un ivrogne chante sous la fenêtre royale, ce qui terrifie Jocaste : « Votre époux est trop jeune, bien trop jeune pour vous… hou ! ». Elle se regarde dans le miroir.

Acte 4 : Oedipe le roi

Dix-sept ans plus tard, la voix explique que la peste décime toute la ville de Thèbes.

Un messager de Corinthe apprend une terrible nouvelle à Œdipe : la mort de Polybe, son père. L’homme lui explique que Polybe, sur son lit de mort, l’a chargé d’avouer à Œdipe qu’il avait été adopté.

Un berger, père du messager, aurait trouvé Œdipe et l’aurait apporté à la reine de Corinthe qui ne pouvait pas avoir d’enfant. Il mentionne que le berger l’a trouvé à moitié mort et pendu par les pieds. Le jeune homme comprend maintenant d’où lui viennent ses cicatrices, puis avoue ouvertement avoir tué un vieil homme au carrefour de Delphes et de Daulie. Jocaste disparaît précipitamment, car elle se rappelle que Laïus est mort dans le même quartier ce jour-là. Œdipe commence donc à comprendre la situation. Il part chercher sa femme, mais ne découvre que son corps sans vie. Il revient « déraciné, décomposé ».

Il reste à Œdipe le pire à comprendre quand paraît un vieux berger. Il s’agit de la personne qui l’a porté blessé et lié sur la montagne. Pressé de répondre, le vieillard avoue : « Tu es le fils de Jocaste, ta femme, et de Laïus tué par toi au carrefour des trois routes. Inceste et parricide ».

Œdipe comprend qu’on ne peut pas échapper à un oracle et il lui reste à se punir lui-même. « Il se donne des coups dans les yeux avec la grosse broche en or », hurle la petite Antigone, sa fille.

Maintenant qu’il est aveugle, il voit s’avancer vers lui le fantôme de Jocaste, redevenue mystérieusement sa jeune mère afin de l’accompagner dans son exil, car il doit quitter Thèbes.

Il s’éloigne, accompagné de sa mère-épouse et d’Antigone, confondues dans une même sollicitude : « Attention… compte les marches… un, deux, trois, quatre, cinq… ».

Les personnages principaux

Oedipe

Ce personnage principal est un jeune homme plutôt orgueilleux. Il est le fils abandonné de Laïus et de Jocaste. Avant d’épouser la reine, il a tué un vieillard au carrefour de Delphes et de Daulie par accident. Celui-ci était en réalité son père.

Jocaste

Elle est avant tout la reine et l’épouse du roi Laïus. Après la perte de son mari, elle devient la femme d’Œdipe, son fils, ainsi que la mère de leurs enfants. Elle n’hésite pas à manipuler Tirésias qui la qualifie de gentille, mais excentrique. Elle n’est pas grecque. La vieillesse et sa beauté tarie par son âge l’obsèdent énormément. Elle se croit tout permis, surtout en palpant le corps du jeune garde qui lui fait penser à son fils abandonné.

Tirésias

Très fidèle à Laïus et à Jocaste, cet oracle a le don de deviner l’avenir.

Le Sphinx

Ce monstre à tête de femme et aux ailes d’oiseau pose une énigme aux personnes qui passent seuls à Thèbes. S’ils ne trouvent pas la réponse, il les tue. Envoyé par les dieux, cette créature est immortelle, mais se montre ici sous la forme d’une jeune fille en robe blanche.

Anubis

Ce dieu de la mort égyptien, à tête de chacal, accompagne le Sphinx et le rappelle à l’ordre quand il le faut.

Analyse de cette œuvre de Jean Cocteau

Le sens du titre

L’expression « machine infernale » n’est certainement pas une invention de Jean Cocteau. En effet, on l’utilisait déjà aux XVIIIe et XIXe siècles pour désigner un engin explosif utilisé afin de commettre un attentat. Au sens figuré, une machine infernale est un mélange de méthodes odieuses afin de perdre quelqu’un, qu’il est question de ruiner sa carrière ou sa réputation. C’est justement sous cette signification que l’expression prend sous la plume de l’auteur.

La fatalité fonctionne telle une machine dans le cas où son mécanisme est implacable. En outre, elle est infernale, car elle est d’une cruauté absolue et préméditée. L’horrible récit d’Œdipe est celui d’un piège tendu de longue date, sans échappatoire possible. Le caractère « infernal » de l’action s’entend de trois manières différentes : il est issu d’une machination des dieux des enfers, il est d’une horreur totale et il l’est d’autant plus que la malédiction divine se présente gratuite.

Par l’exploration du mythe et du complexe d’Œdipe, Cocteau remet en question le libre arbitre chez l’être humain. Œdipe apparaît dans la pièce théâtrale comme étant la victime d’un sort cruel. L’auteur vient souligner qu’en acceptant sa limite, le personnage découvre la réalité dont il ne laisse plus se laisser prendre par les illusions.

Le tragique

Le tragique de La Machine infernale ne se limite pas uniquement à la barbarie de l’action. Une catastrophe ou encore des crimes aussi terribles que l’inceste et le parricide peuvent être tragiques, mais ils peuvent également ne pas l’être. À vrai dire, cela dépend du contexte dans lequel ils se produisent ainsi que de la charge émotive qu’ils dissimulent. Pour l’auteur, le tragique naît de la fatalité absolue qui soupèse sur les personnages. En fait, c’est comme si ces derniers acceptaient de coopérer avec la fatalité à leur insu. De là ressort une interrogation sur les liens possibles de la liberté et du destin. L’auteur ne se contente pas de mettre en scène le tragique : il suggère même son dépassement. Le poids de la force des désirs inconscients et de la fatalité n’empêche pas Œdipe de se sentir libre, à défaut de l’être vraiment.

La réécriture d’un mythe

Dans La Machine infernale, l’auteur reprend le célèbre mythe d’Œdipe. Si le spectateur y retrouve les principaux éléments narratifs, Cocteau le réécrit toutefois. Par exemple, Œdipe perd de son intelligence et de sa grandeur en se dévoilant superficiel et naïf, et en recevant la solution de l’énigme du Sphinx au lieu de la découvrir par lui-même.

Jean Cocteau fait subir un traitement incroyablement personnel à la tragédie de Sophocle, et ce, à base d’ironie, de surréalisme et d’anachronismes volontaires. Il ajoute de la poésie à un drame intraitable de la fatalité et renouvelle, de façon éclatante et avec tous les dons du virtuose, un mythe.

La Machine infernale redonne vie aux grandes figures de la Grèce Antique : Œdipe, Créon, Antigone ou encore Jocaste. Il vient philosopher en toute virtuose. Pour Cocteau, l’homme naît aveugle et les dieux règlent sa destinée. Même le personnage principal, celui qui sort du lot, doit se soumettre.

En modernisant le mythe d’Œdipe, l’auteur fait de ce dernier le symbole du paria rejeté de la communauté, qui accepte son sort telle une fatalité et même collabore avec masochisme à aggraver son martyre. Il lui accorde un accent poétique et personnel par l’irruption du fantastique : la manifestation de Jocaste décédée, la tendre discussion entre mère et fils, indifférents aux avis qui s’échangent autour d’eux, dans l’intimité fœtale reconquise, qu’Antigone ne vient pas perturber, n’ayant pas été créée par une femme d’un autre sang… Tout cela accorde un lyrisme assez étrange à la scène finale, ce qui donne une réalité au fantasme de la coexistence de deux mondes : celui de la réalité et du rêve. Ce dernier étant beaucoup plus réel que le premier, mais accessible au prix d’une déplaisante austérité, aux seuls poètes que maltraitent et méprisent les hommes bernés par l’univers des apparences et burlesques dans leurs convictions matérialistes.

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