Le Guépard est un roman de l’auteur italien du 20ème siècle Giuseppe Tomasi di Lampedusa, son unique roman écrit en 1957 et paru en 1958 à titre posthume. Il fut magnifiquement porté à l’écran par Luchino Visconti en 1963. L’histoire se passe dans la Sicile des années 1860, où une famille aristocratique décadente subit le changement de régime politique de l’île avec le débarquement de Garibaldi et le renversement de l’ordre social.
Résumé
Cette œuvre est divisée en huit parties, qui vont de 1860 à 1910.
Mai 1860 : présentation du prince
La première partie est construite sur une unité temporelle, puisqu’elle décrit 24 heures de la journée d’un aristocrate sicilien entre deux récitations du Rosaire, Don Fabrizio Corbera, prince de Salina dit « le Guépard ». Le prince Salina incarne tout à fait le stéréotype du pater familias de l’aristocratie sicilienne de la fin du 19ème siècle. La journée se passe les 12 et 13 mai 1860, au moment où les troupes piémontaises s’apprêtent à envahir la Sicile avec à leur tête le général Garibaldi. Nous faisons également connaissance de son épouse Stella, hystérique, le père Pirrone, jésuite, et Bendico, le chien. Tancredi, le neveu du prince, par calcul politique, rejoint les troupes révolutionnaires. Le prince expose sa vision des évènements politiques à son confesseur.
Août 1860 : la résidence d’été
La seconde partie se déroule sur deux jours et s’ouvre par l’arrivée de la famille du prince dans leur résidence d’été à Donnafugata. Le voyage donne lieu à la description des paysages de la Sicile et de son aridité. La famille est accueillie selon les coutumes de la féodalité sicilienne par les autorités locales, avec Don Calogero Sedàra, le tout nouveau maire. Au cours du dîner où sont conviés les notables de la ville, nous faisons la connaissance d’Angelica, la fille du maire, éblouissante de beauté. Le lendemain, le prince Salina va prier sur la tombe de son aïeule au monastère du Saint-Esprit, et aperçoit Tancredi qui se dirige vers la maison d’Angelica.
Octobre 1860 : la demande en mariage
La troisième partie met en scène le prince Salina et Don Ciccio Tumeo au cours d’une partie de chasse. Il discutent des bouleversements politiques qui ont lieu en Italie, de la famille du maire et de sa fille Angelica, dont Tancredi, le neveu du prince, est amoureux. Puis le prince se rend au bureau de vote pour le processus d’unification de l’Italie et assiste le soir au Plébiscite. Son neveu Tancredi, parti combattre avec les troupes de Garibaldi, demande à son oncle de s’occuper de sa demande en mariage qui est acceptée par Don Calogero : porter le nom des Salina se négocie contre une dot très confortable.
Novembre 1860 : le portait de Don Calogero
La quatrième partie commence par un focus sur le personnage de Don Calogero qui, au contact de la noblesse, évolue de manière positive (hygiène, éducation), parallèlement au déclin de la noblesse. Angelica et Tancredi sont fiancés. Angelica vient souvent rendre visite à Tancredi, et leurs jeux de désirs amoureux nous donne l’occasion de découvrir tous les recoins du château des Salina, symbole du passé glorieux de la famille. Apparait également la tentation de Tancredi de ne pas respecter la virginité d’Angelica avant le mariage. Le chevalier Chevallay, envoyé par la nouvelle Italie, arrive au château pour proposer à Salina de devenir sénateur. Celui-ci refuse et propose à sa place Don Calogero. C’est l’occasion pour Salina d’exprimer ses sentiments sur les évènements politiques et son rapport avec les autres classes sociales.
Février 1861 : retour de Don Pirrone dans son village
Cette partie met l’accent sur le père Pirrone, ses origines de fils de paysans pauvres et sur les conditions de vie difficiles de cette classe sociale. Il retourne dans son village natal pour l’anniversaire de la mort de son père. Il est confronté à la situation scandaleuse de sa nièce enceinte de son cousin, deux branches de la famille, ennemies depuis longtemps. Il permet le mariage de sa nièce avec son neveu en la dotant de la moitié des biens de la famille. Nous assistons ici au déclin de la religiosité.
Novembre 1862 : le bal chez Pentaleone
La famille se rend au bal de Pentaleone, l’occasion de faire entrer de manière officielle Angelica dans le monde de la noblesse. Le prince Salina s’isole un moment et fait le bilan funeste de sa vie. Mais Angelica s’approche de lui pour lui proposer de danser avec elle. C’est à ce moment que l’on comprend les sentiments qu’éprouvait secrètement le prince Salina pour elle, raisons qui implicitement l’ont poussé à accepter le mariage de son neveu avec une roturière, conjointement aux raisons politiques. Ce bal est également l’occasion de souligner le luxe et le faste du train de vie de la noblesse.
Juillet 1883 : la mort du Guépard
Vingt ans se sont écoulés. Le prince Salina, souffrant, revient de Naples par le train, contre l’avis de son médecin. A Palerme, il n’a pas la force d’aller jusqu’à chez lui et s’arrête dans un hôtel, où il décédera entouré de ses enfants, de Tancredi et d’Angelica, après avoir reçu les derniers sacrements. Son agonie est rapide et il meurt dans la dignité.
Mai 1910 : fin de la lignée des Salina
Des années ont passé. Angelica, veuve depuis trois ans, vit au château Falconeri. Nous sommes en présence des trois filles, Concetta, Carolina et Caterina. Elles ont mené une vie très dévote et ne se sont jamais mariées. Concetta a amassé pendant des années des reliques qui, lors d’une vérification par le cardinal de Palerme, s’avèrent être toutes fausses. C’est la chute totale. Elle apprend par un ami de Tancrède qu’elle aurait pu vivre son amour pour celui-ci auquel elle a renoncé. En signe de désespoir, et symbole de la fin de la lignée des Salina, elle jette par la fenêtre Bendico, le chien bien-aimé de son père, empaillé depuis 45 ans.
Les personnages principaux
Don Fabrizio Corberà, prince de Salina (le Guépard)
Don Fabrizio Salina a 57 ans au début du roman. Père de sept enfants, imposant physiquement, il est le type même de la noblesse sicilienne décadente du 19ème siècle et incarne le modèle du pater familias. Passionné d’astronomie et de littérature, il se distingue par sa supériorité intellectuelle, ce qui lui donne l’impression qu’il domine encore le monde et que, tout comme son emblème héraldique, le guépard, il est immortel. Il soutient la révolution en aidant son neveu Tancredi. Énergique et autoritaire, mais aussi désenchanté par la vie, il ne peut s’opposer au temps qui passe et aux inéluctables évènements historiques qui entraînent la chute de l’aristocratie sicilienne et la fin de la lignée des Salina. Il garde le sens de l’honneur, même s’il accepte le mariage de son neveu avec une roturière. La fin de sa vie nous montre de lui un visage plus humain, lors de son attendrissement pour Angelica pendant le bal. Il meurt dans la dignité, comme le veut son rang.
Tancredi Falconeri
Neveu du prince, il représente la force nouvelle qui ébranle son pays. Par son charme et son ironie face à la vie, il est certainement le reflet de ce que pouvait être le prince Salina jeune. Il essaie de donner à la noblesse un nouveau souffle en allant combattre aux côtés de Garibaldi. Salina, qui est son tuteur, se rallie à ses idées libérales en acceptant de financer la révolution, même si cela va à l’encontre de ses principes. Tancredi incarne le sens de l’Histoire et l’évolution des mœurs en épousant Angelica, fille du maire de Donnafugata, qui n’est pas de lignage noble. Ambitieux, il fera une brillante carrière et deviendra sénateur. Sa phrase célèbre “si nous voulons que tout reste tel quel, il faut que tout change”, deviendra le leitmotiv du roman.
Don Calogero Sedarà
Riche propriétaire terrien, maire de Donnafugata, la résidence d’été du prince, il incarne la montée des forces nouvelles. C’est le type même du parvenu. Issu d’une famille pauvre, inculte, grossier, il est l’opposé de Salina. Il est cependant intelligent, ce qui lui permettra de réussir en profitant de la cause garibaldienne, et de devenir très riche. Au contact des Salina, il comprendra l’importance de l’éducation et de la courtoisie. Il cherche à s’intégrer à l’aristocratie en donnant une superbe dot pour que sa fille épouse Tancredi.
Angelica
Fille de Don calogero, elle est très belle et se veut distinguée mais laisse transparaître une éducation assez rustre et des manières vulgaires. Cependant, c’est une jeune fille instruite qui a fait des études à Florence. Par sa beauté, sa chaleur et sa sensualité, elle symbolise la Sicile. Elle incarne la réussite sociale en épousant Tancredi et en entrant dans la noblesse. Elle a tout de suite compris les avantages de cette union et se marie surtout par intérêt. Par ce mariage, elle traduit la transition entre la décadence de l’aristocratie et la montée de la bourgeoisie.
Don Pirrone
Père jésuite, dévoué à la famille Salina. Il partage avec le prince sa passion pour l’astronomie. Il est chargé de la moralité de la famille. Il a une vison lucide de la situation politique et conseille le prince de ne pas suivre les idées libérales de la révolution. Il a dans le roman une fonction moralisatrice, mais il est impuissant devant la lente décadence de la famille Salina.
Concetta
Une des trois filles du prince. Elle est l’opposée d’Angelica. Elle est naïve, gentille et soumise. On peut remarquer son attitude noble (elle est amoureuse de Tancredi) mais fait bonne figure lors du mariage. Elle restera prisonnière de cet amour et ne se mariera pas. A la fin du roman, elle se rend compte qu’elle a gâché sa vie en refusant les avances de l’ami de Tancredi, Cavriaghi. Elle mène une vie austère consacrée à la religion. Le roman se termine sur ce geste symbolique : elle jette par la fenêtre le chien empaillé de son père.
Bendico
Le chien bien-aimé du prince a une valeur très symbolique. Il apparaît au début du roman lorsqu’il entre dans la chapelle pendant le Rosaire. C’est sur son personnage que se termine le roman : sa dépouille empaillée est jetée par la fenêtre.
Analyse du roman
Le contexte
Le cadre historique
Le roman débute alors que Garibaldi, homme politique, général et patriote italien débarque en Sicile, et entreprend une remontée de l’Italie qui aura pour conséquence le rattachement de la Sicile au Royaume de Piémont-Sardaigne sous le règne du nouveau roi de l’Italie réunifiée, Victor-Emmanuel de Savoie. Ce roman n’est pas un roman historique, mais les évènements en toile de fond permettent d’analyser les conséquences des changements politiques et sociétaux.
La Sicile
L’évocation de la Sicile est très réaliste, avec l‘évocation des grandes disparités des classes sociales. La narration du voyage jusqu’à Donnafugata, de nombreuses descriptions du paysage et beaucoup de détails respectant la toponymie des lieux montrent la nature aride de l’île, ses couleurs et ses parfums.
Le guépard
Le titre
Le guépard représente le blason de la famille, bien que cet animal ne figure pas dans le langage héraldique. Mais le terme de guépard dansant évoque le léopard rampant qui appartient, lui, au vocabulaire héraldique. Le guépard évoque aussi le prince, en tant que prédateur, ainsi que sa noblesse et son élégance.
Le pater familias
Fabrizio Salina est le plus âgé de la lignée des Salina. Père de sept enfants, il est fier de la famille qu’il a fondée. Mais il ne montre pas d’amour envers elle. Il a toute autorité sur sa famille et sur ses garçons qui ne la contestent pas. Il a bien sûr toute autorité sur ses filles, et refuse le mariage de Concetta avec Tancredi de qui elle est amoureuse.
Son déclin et sa chute
Le prince Salina perd petit à petit son autorité : il accepte d’aider Tancredi pour des idées libérales qui ne sont pas les siennes, il introduit dans sa famille une roturière. Il perd ainsi peu à peu son autorité et son prestige, et symbolise le déclin et la chute de l’aristocratie sicilienne au profit de la nouvelle constitution du Royaume d’Italie.
Sa mort
La partie consacrée à sa mort décrit celle-ci loin de chez lui, dans une chambre d’hôtel : symbole de la fin d’une époque qui est en train de s’effondrer. Il rêvait d’immortalité, grâce, croyait-il, à ses découvertes en astronomie, au prestige de sa famille et de l’aristocratie sicilienne. Peu à peu, il prend conscience de la nature éphémère de toute chose, et son immobilisme préfigure la mort de l’aristocratie sicilienne en même temps que sa propre mort.
Grandeur et décadence
Le prince incarne la grandeur et l’intelligence dans un monde médiocre, et devient témoin de la décadence. Il observe, impuissant, la dégénérescence de la jeunesse de sa classe. Lui même est partagé entre la rigueur scientifique de sa passion, l’astronomie, et la lascivité de sa nature. Il est incapable de réagir face à la décadence de sa classe sociale.
Il incarne les valeurs et l’éthique aristocratiques : contrairement à Don Calogero, il méprise l’argent, il a une grande passion pour la connaissance, et respecte les traditions. Il ignore l’ambition, à l’opposé de son neveu Tancredi. Petit à petit, nous assistons à la décadence familiale, avec les idées libérales de Tancredi, son mariage avec une parvenue, et le destin de sa fille Concetta symbolise l’effondrement de l’éthique de cette noblesse.
Les fastes de l’aristocratie sicilienne sont évoqués et décrits lors du bal chez Pontaleone, en opposition avec les conditions de vie très difficiles de la vie paysanne évoquées lors du retour de Don Pirrone dans son village natal.
Parallèlement à la décadence et l’effondrement de cette famille noble, nous assistons à la décadence politique et sociale de la Sicile. Au début du livre, le roi Ferdinand II est décrit comme un roi fantoche et médiocre. De cette décadence politique s’ensuit toute la décadence morale : Tancredi se marie pour obtenir une dot qui nourrira ses ambitions politiques, Angelica se marie pour rentrer dans la noblesse. Seule Concetta ne fera pas de compromissions, mais perdra tout.
Un roman autobiographique
Ce roman possède une dimension autobiographique sur un fond d’évènements historiques. En effet, l’auteur précise qu’il s’est inspiré de la vie de son aïeul, son arrière grand-père, Giulio Fabrizio de Lampedusa. Le symbole héraldique de sa famille est bien le Léopard. L’appellation Guépard est ici ironique. L’auteur a cherché dans son œuvre un équilibre entre l’histoire de sa famille et les mutations politiques et sociales de la Sicile.
Les faits historiques présents dans le roman retracent l’histoire du Risorgimento italien, notamment l’arrivée des troupes de Garibaldi en Sicile et la remontée en Italie, puis le plébiscite. Mais à travers ces éléments autobiographiques et historiques, l’auteur a surtout voulu décrire la crise d’une société, et la très grande difficulté à conserver ses anciennes valeurs et à accepter les nouvelles.