Ce conte de Guy de Maupassant, intitulé Ce Cochon de Morin a d’abord été publié dans la revue Gil Blas le 21 novembre 1882, sous son nom de plume “Maufrigneuse“. Plus tard, il a été inclus dans un recueil de contes intitulé “Contes de la Bécasse“. Ce récit est dédié à Eugène Oudinot, qui était un artisan spécialisé dans la fabrication de verre. Découvrons ensemble toutes les facettes de cette nouvelle.
Résumé détaillé chapitre par chapitre de Contes de la Bécasse – “Ce Cochon de Morin” de Guy de Maupassant
CHAPITRE 1
Le narrateur demande à son ami Labarbe pourquoi on associe toujours Morin avec le mot “cochon”. Labarbe est étonné que le narrateur, venant de La Rochelle, ne soit pas au courant de cette histoire. Il lui explique que Morin, un homme qu’ils ont tous les deux connu, était parti quinze jours à Paris en 1862 ou 1863 pour approvisionner son magasin de mercerie situé sur le quai de la Rochelle.
Pendant son séjour de deux semaines à Paris, il fut excité par l’effervescence de la ville et la proximité des femmes. Sur le chemin du retour en train, il suivit une jeune femme d’une vingtaine d’année dans un wagon vide. Morin imagina différentes façons de lui parler, mais n’eut pas l’audace de l’aborder. Finalement, lorsque la jeune femme se réveilla le lendemain matin, elle souria à Morin. Ce dernier prit cela comme des avances et, décidé à jouer le tout pour le tout, il l’embrassa sans son consentement. Apeurée, elle cria et essaya de sauter du train, tandis que Morin la retenait en la suppliant de ne pas faire de bêtises. Le train arriva en Gare de Mauzé et Morin fut arrêté par un gendarme pour “outrage aux bonnes mœurs dans un lieu public”.
CHAPITRE 2
À cette époque, Labarbe était rédacteur en chef d’un journal. Morin, qu’il voyait tous les soirs dans le même café, est venu lui demandait son aide. Même s’il estimait que Morin ne s’était pas très bien comporté, il fut peiné par sa situation et accepta. Sous les conseils de Rivet, son collaborateur, Labarbe se rendit chez le magistrat. Ce dernier lui expliqua que l’oncle de Mlle Henriette Bonnel, la jeune fille en question, avait porté plainte contre Morin. Labarbe devait donc dissuader l’oncle de Henriette de retirer la plainte. Morin lui donna mille francs pour qu’il puisse s’acquitter de cette mission. Labarbe se rendit donc chez la famille de Mlle Henriette Bonnel avec Rivet.
Labarbe et Rivet furent accueillis par Henriette Bonnel, que Labarbe trouva très charmante. Son oncle, M. Tonnelet, était abonné à leur journal. Il les reçut donc avec beaucoup d’enthousiasme. Labarbe essaya de faire en sorte qu’il retire sa plainte, lui expliquant le scandale qui menaçait sa nièce. M. Tonnelet ne voulut pas prendre de décision sans sa femme. Il demanda donc aux deux hommes de rester pour la nuit.
Il appela sa nièce et ils partirent se promener tous les quatre. Pendant que Rivet et M. Tonnelet conversaient ensemble, Labarbe échangea avec Henriette. Celle-ci lui avoua qu’elle aurait pu agir différemment, mais Morin l’avait totalement effrayée. Labarbe tenta de défendre son ami en louant la beauté de Henriette. Celle-ci lui expliqua que la situation aurait pu être différente si Labarbe l’aurait embrassé étant donné qu’il était plus joli garçon que Morin. Labarbe embrassa Henriette sur la joue. Cette dernière calma ses ardeurs et Labarbe se défendit en lui confiant que pour elle, il était prêt à “passer devant un tribunal pour la même cause que” son ami. Labarbe continua à louer sa beauté en tentant de l’embrasser partout où il pouvait. Confuse et blessée, elle finit par se dégager. Labarbe lui révéla alors qu’il se fichait de Morin et lui fit une déclaration d’amour. Ils partagèrent un long baiser avant d’être interrompus par Rivet qui fit fuir Henriette.
CHAPITRE 3
Épris d’Henriette, Labarbe tenta de la séduire au cours du dîner et lors de leur balade au clair de lune. En rentrant, ils apprirent que la femme de M. Tonnelet n’arriverait pas avant le lendemain matin. Henriette les conduisit à leur chambre. Labarbe essaya de l’amener avec lui dans sa chambre, mais elle s’enfuya. Labarbe se retrouva seule, s’interrogeant sur une quelconque maladresse qui l’aurait amené à fuir. Henriette frappa à sa porte pour savoir ce qu’il prenait le matin au petit-déjeuner. Il en profita pour retenter sa chance, mais elle fuya une seconde fois.
Labarbe décida de trouver la chambre d’Henriette. Cette dernière le regarda effarée. Il poussa le verrou et s’approcha en prétextant avoir oublié de lui demander quelque chose à lire. Ils passèrent la nuit ensemble.
Le lendemain, la tante de Henriette arriva à sept heures et accepta de retirer la plainte. La famille leur demanda de rester, mais Rivet voulut s’en aller. Déçu, Labarbe fut contraint de partir également.
De retour à La Rochelle, Labarbe et Rivet se rendirent chez Morin pour lui annoncer que la plainte avait été retirée. Ce dernier sauta de joie, mais sa réputation avait déjà été entachée. Il la supporta tant bien que mal et finit par mourir deux ans plus tard.
Douze ans après, Labarbe se rendit chez Me Belloncle, le nouveau notaire de Tousserre. Celui-ci avait épousé Henriette Bonnel que Labarbe eut du mal à reconnaître. Me Belloncle remercia Labarbe de sa délicatesse ainsi que dans son dévouement dans l’affaire de ce cochon de Morin.
Présentation des personnages
Morin est un commerçant de mercerie sur La Rochelle, qui peut être décrit comme un petit bourgeois ennuyeux et coincé. Il est sous la domination d’une épouse tyrannique et n’a jamais eu de relation avec une autre femme que la sienne. Après son voyage à Paris, il est tout excité en voyant une jeune et belle femme nommée Henriette, et commence à imaginer toutes sortes de scénarios. Son imagination l’emporte et il interprète un geste poli comme une invitation, ce qui le pousse à embrasser Henriette sans son consentement. Cet acte effraie la jeune femme qui appelle à l’aide. Morin est arrêté et l’oncle d’Henriette dépose une plainte contre lui. À cause de cette erreur, ce bourgeois exemplaire voit sa vie basculer et tout le monde le traite de “cochon“. Il pense que sa vie retrouvera son cours normal une fois la plainte retirée, mais sa réputation est irrémédiablement entachée et cette expérience épouvantable continue à hanter sa vie. Il finit par mourir deux ans plus tard. D’un point de vue physique, il est “assez laid” et paraît bête selon Henriette Bonnel.
Labarbe est un député qui raconte l’histoire de “ce cochon de Morin” au narrateur. À l’époque des faits, Labarbe était un bel homme âgé de trente ans qui travaillait en tant que rédacteur en chef du Fanal des Charentes, un journal local. Bien qu’il ne soit pas antipathique, C’était un homme ambitieux, légèrement manipulateur et calculateur qui appréciait séduire les femmes. Contrairement à Morin qui manque d’expérience, Labarbe sait parfaitement comment charmer les femmes, et réussit à séduire Henriette sans trop de difficulté. Finalement, il parvient à obtenir ce qu’il veut en passant la nuit avec elle.
Henriette Bonnel est une belle jeune femme blonde d’une vingtaine d’années qui vient d’obtenir son diplôme d’institutrice à Paris. Elle se rendait chez son oncle et sa tante à Mauzé quand Morin l’a embrassé sans son consentement. Elle avoue à Labarbe que sa réaction, dictée par la peur, a été démesurée. Durant toute la nouvelle, cette jeune femme, apparemment chaste, se plaît à être désirable sans qu’on ne puisse la posséder. Elle joue au jeu du chat et de la souris avec Labarbe où elle se laisse séduire, mais sait ne pas faillir jusqu’au moment où elle finit par se laisser complètement aller, non sans se débattre au début. Henriette est très représentative de ces belles jeunes femmes bourgeoises de l’époque qui soufflaient le chaud et le froid. Son corps désire ce que la bienséance ne peut accepter. C’est pour cette raison qu’elle ne se donne pas “aussi facilement” à Labarbe. On pourrait penser que l’attitude qu’elle a est le signe d’un manque d’expérience toutefois, douze ans plus tard, elle semble être dans la même attitude de séduction lorsqu’elle recroise Labarbe.
Rivet est le collaborateur de Labarde. C’est également un ami de Morin. Il accepte d’accompagner Labarbe chez la famille de Henriette. Sans le savoir, Rivet offre à Labarbe un excellent moyen de diversion. Pendant que l’oncle est occupé à parler à Rivet, Labarbe a tout le temps de séduire Henriette.
Mr Tonnelet est l’oncle de Henriette Bonnel. C’est un petit bourgeois qui vit avec sa femme à Mauzé. Dans les faits, c’est lui qui a porté plainte contre Morin. Cependant, il a besoin de consulter l’avis de sa femme avant de la retirer. Tout comme Morin, Mr Tonnelet semble être sous la domination de sa femme. Il n’a pas l’air d’assumer le rôle du chef de la famille. Ce lecteur du journal rédigé par Rivet et Labarbe est heureux de recevoir les deux rédacteurs. Il ne voit pas que Labarbe séduit sa nièce au sein de sa maisonnée.
La femme de Mr Tonnelet n’a pas un rôle très important dans l’histoire. Elle n’est que le prétexte aux deux rédacteurs pour passer la nuit chez Mr Tonnelet. Son absence permet à Labarbe de se rapprocher de Henriette à sa guise. Elle est également celle qui donne sa validation pour que la plainte soit retirée.
Me Belloncle est le nouveau notaire de Tousserre. Labarbe le rencontre en 1875, soit douze ans après l’affaire de “ce cochon de Maurin”. Me Belloncle est le mari de Henriette Bonnel qui remercie Labarbe pour la délicatesse et le tact qu’il a eu, selon sa femme, durant cette ancienne affaire.
Analyse de l’oeuvre
La symbolique des noms dans cette nouvelle
Dans Ce cochon de Morin, l’auteur français utilise, consciemment ou inconsciemment, des noms qui ont une connotation assez comique compte tenu de l’histoire. En effet, Rivet est le personnage qui permet à Labarbe de séduire Henriette sans que son oncle ne s’en aperçoive. Ce dernier a les yeux “rivés” sur le collaborateur de Labarbe, échangeant avec lui diverses conversations. Rivet permet donc de “paralyser”, d’”immobiliser” l’oncle pendant que Labarbe profite tranquillement de la jeune femme. D’ailleurs “être rivé” se définit par le fait de “Ne jamais quitter quelque chose”, “Être immobilisé, fixé”, comme l’est l’oncle de Henriette.
D’autre part, dans cette situation, le nom de Labarbe n’est pas si anodin puisque ce personnage séduit Henriette “à la barbe” de son oncle. Toutefois, ce dernier ne peut pas y faire grand-chose puisqu’il a les yeux “rivés” sur le collaborateur de Labarbe. Le nom de l’oncle de Henriette Bonnel est également porteur de sens puisque “tonnel” peut faire référence aux tonneaux. Ces derniers sont construits avec des planches de bois qui peuvent être maintenus ensemble avec des clous ou des “rivets”. Ainsi, nous comprenons l’association par Maupassant de ces deux personnages (Rivet/Mr Tonnel) qui, en définitive, ne sont présents que pour ajouter un peu de “piment” à cette séduction. D’un côté, leurs échanges permettent à Labarbe de passer à l’acte, de l’autre, ils permettent de calmer les ardeurs des deux personnages tout en rendant la situation plus excitante.
Le nom de Me Belloncle est également très important et prête à sourire. En effet, Labarbe s’est “joué” de l’oncle et a profité des échanges qu’il avait avec Rivet pour obtenir les faveurs de sa nièce. Le fait que cette dernière soit mariée avec un homme dont le nom de famille est composé de “Belle” et de “Oncle” permet de clôturer la nouvelle en faisant un clin d’oeil au lecteur sur les évènements qui se sont déroulés dans cette histoire.
L’immoralité de la nouvelle
Dans cette nouvelle, nous avons à faire à un homme, Morin, dont la réputation est entachée par une malencontreuse aventure. En définitive, qu’a t’il fait réellement de mal pour être qualifié de “cochon” ? Il a embrassé une femme sans son consentement, c’est vrai ! Mais hormis ça, il ne l’a pas violenté. Il n’a fait que saisir une opportunité à la suite d’un signe qu’il a estimé être une ouverture. Toutefois, ce n’en était pas une. Cette histoire traduit plus un manque d’expérience de la part de Morin qu’une réelle agression. D’autant plus que comme le souligne si justement Labarbe, elle aurait pu le remettre aisément et posément à sa place. Dans cette affaire, on ne peut pas considérer Morin comme un “cochon”, cependant, il n’est pas exempt de tous reproches puisqu’en agissant comme il l’a fait, il a manqué de “respect” à Henriette. Cette dernière le souligne lorsqu’elle précise : “Entre le désir et l’action, monsieur, il y a place pour le respect.”. Ainsi, à force de se faire des films, Morin n’a fait que prendre ses rêves pour des réalités.
La mauvaise réputation qu’il a acquise par la suite accentue l’immoralité de cette histoire, surtout lorsque l’on sait la relation entre Labarbe et Henriette. Cette dernière, “très à cheval” sur la notion de respect, se laisse courtiser, séduire et posséder par Labarbe assez facilement. Tout comme avec Morin, elle feint de ne pas vouloir néanmoins elle n’a qu’une envie, celle que Labarbe puisse “ouvrir la première page”. En étant aussi insistant, Labarbe se révèle être le réel “cochon” de l’histoire. Mais Labarbe a suffisamment d’expérience pour savoir comment séduire Henriette. De surcroît, c’est un bel homme, là où Morin était “assez laid”. Ainsi, Labarbe est “excusable” d’être aussi insistant et de faire faillir Henriette, car c’est un bel homme.
“« Eh bien, voyons, si je vous embrassais, moi, maintenant ; qu’est-ce que vous feriez ? » Elle s’arrêta pour me considérer du haut en bas, puis elle dit, tranquillement : « Oh, vous, ce n’est pas la même chose. »[…] Elle haussa les épaules, et répondit : « Tiens ! parce que vous n’êtes pas aussi bête que lui. » Puis elle ajouta, en me regardant en dessous : « Ni aussi laid. »”. L’immoralité est poussée à son paroxysme puisque Morin finit par mourir tandis que Labarbe devient député.
Le nom de Me Belloncle composé de l’adjectif “belle” est également évocateur. Maupassant sous-entend que la belle Henriette Bonnel ne pouvait qu’épouser un homme aussi beau qu’elle. La beauté attire la beauté et rejette la laideur.
Une métaphore filée
Dans Ce Cochon de Morin, Maupassant nous offre une très belle métaphore filée. En effet, dans le dernier chapitre du conte, nous pouvons lire : “Alors je poussai doucement le verrou ; et, m’approchant sur la pointe des pieds, je lui dis : « J’ai oublié, mademoiselle, de vous demander quelque chose à lire. » Elle se débattait ; mais j’ouvris bientôt le livre que je cherchais. Je n’en dirai pas le titre. C’était vraiment le plus merveilleux des romans, et le plus divin des poèmes. Une fois tournée la première page, elle me le laissa parcourir à mon gré ; et j’en feuilletai tant de chapitres que nos bougies s’usèrent jusqu’au bout. Puis, après l’avoir remerciée, je regagnais, à pas de loup”.
Dans cette partie, il est clair que Labarbe n’est pas en train de conter Fleurette et que Henriette n’est pas en train de lui faire la lecture.
“« J’ai oublié, mademoiselle, de vous demander quelque chose à lire. »” indique que Labarbe est venu avec un but précis et qu’il entend bien le concrétiser d’autant plus qu’au préalable, il s’est arrangé pour pousser le verrou.
“Elle se débattait ; mais j’ouvris bientôt le livre que je cherchais.” Cette phrase montre clairement que Labarbe est insistant et qu’il se fiche bien que ce qu’il souhaite soit consenti ou non. Comme il le précisait dans le chapitre II “« Voyons Mademoiselle, avouez qu’il était excusable, car, enfin, on ne peut pas se trouver en face d’une aussi belle personne que vous sans éprouver le désir absolument légitime de l’embrasser. »”.
“Une fois tournée la première page, elle me le laissa parcourir à mon gré ; et j’en feuilletai tant de chapitres que nos bougies s’usèrent jusqu’au bout.” Cette phrase permet d’illustrer le fait que, les préliminaires étant faits, Labarbe a tout le loisir de la posséder. D’autant plus qu’elle a arrêté de se débattre. Si jusque-là, nous pouvions nous demander si cela serait consenti, l’absence de cris de la part de Henriette, comme lorsqu’elle a réagi avec Morin, montre qu’elle souhaitait ardemment avoir une relation sexuelle avec Labarbe.