Le succès du roman de René Barjavel, La Nuit des temps, revient à ses deux thèmes universels : la recherche d’un monde perdu et l’amour éternel. Ainsi, cet ouvrage réunissait tous les ingrédients lui permettant de traverser les âges et rejoindre un écho auprès de toutes les générations depuis cinq décennies. Régulièrement réédité, le livre, qui connut un succès fulgurant (2,6 millions d’exemplaires) à sa sortie, était au départ un projet de film. En effet, à l’origine, il avait été rédigé à la demande d’André Cayatte, metteur en scène. Mais comme le budget prévu était considérable, l’adaptation cinématographique ne fut jamais réalisée. Publié aux Presses de la Cité en 1968, ce roman de science-fiction a reçu le prix des libraires en 1969. Longtemps considéré comme étant « le père de la science-fiction à la française », L’auteur français du XXème siècle nous délivre la peur du progrès technique ainsi que la destruction de la civilisation à travers une écriture onirique et poétique.
Résumé du livre La Nuit des temps de René Barjavel
Découverte en Antarctique
Une expédition scientifique française au Pôle Sud décèle des signaux captés avec un dispositif de sondage sous-glaciaire. Une expédition rassemblant plusieurs pays est alors organisée pour atteindre le centre d’émission du signal. Ses membres communiquent à partir d’un ordinateur traduisant momentanément leurs paroles.
L’équipe scientifique internationale découvre alors les ruines d’une cité souterraine, à 900 mètres de profondeur sous la glace, provenant d’une civilisation datant apparemment de 900 000 ans. Désormais, les savants de toute la planète affluent vers le nouveau site afin d’aider à explorer et comprendre.
Le monde entier assiste directement à l’exploration via la télévision satellite à couverture mondiale. Au cœur de la cité, les scientifiques découvrent un objet ovoïde en or de vingt-sept mètres de diamètre dans lequel se trouvent les corps nus d’un homme et d’une femme. Enfermé dans des blocs d’hélium solide à 0 K, le couple était en état de biostase, avec la tête recouverte de casque d’or qui cachait leur visage. Pour y pénétrer, ils tentent de perforer la sphère avec l’aide d’un chalumeau nommé « plaser ». Équipés de leurs combinaisons d’amiante, Léonova et Hoover entrent dans un monde nouveau.
Avec ses collègues, Simon, médecin faisant partie de l’expédition, décide d’entamer le réveil des corps. Ils commencent alors par celui de la femme, puisque les scientifiques tâtonnent sur la technique de réveil, et le corps de l’homme dévoile des traces de brûlures sur le torse.
Réveil d’Eléa et explications sur la civilisation disparue
La femme se nomme Eléa et le médecin tombe immédiatement sous le charme de cet être venu des profondeurs du temps.
Grâce à une machine de son époque et apposée sur son front, Eléa transmet sa mémoire, laquelle est retransmise par les canaux de télévision mondiale. Les souvenirs de la femme racontent l’histoire de son monde, mais également la sienne et celle de son compagnon Païkan, ainsi que la guerre qui oppose sa civilisation à celle des Enisors.
Son monde est plutôt identique au nôtre, mais pas à la même époque. Elle a vécu il y a 900 000 ans, à Gondawa, une civilisation beaucoup plus avancée, à l’aube d’une guerre qui anéantisse la planète entière. Depuis leur enfance, Eléa et son compagnon Païkan sont destinés l’un à l’autre et s’aiment pour toujours.
Les merveilles que fait espérer la découverte du site de Coban rendent les pays hystériques. On renforce le niveau de protection de l’expédition scientifique parce que des menaces de sabotage sont transmises. Le récit fait assidûment le parallèle entre le monde moderne et celui d’Eléa.
Tandis que la fin du monde d’Eléa était imminente, pour donner un avenir à cette civilisation, certains scientifiques comme notamment Coban, avait décidé de mettre en état d’hibernation un homme et une femme présentant des critères physiques et intellectuels optimums. Coban avait été choisi, car il est l’unique personne capable de lire l’équation de Zoran dans les notions mathématiques universelles, ainsi qu’Eléa, mais contre sans gré. Elle ne supportait pas d’être séparée de son compagnon. Elle s’était alors enfuie avec ce dernier, mais après plusieurs péripéties au cours desquelles elle tombe constamment sur un groupe d’étudiants opposés à la guerre et hurlant « Pao ! » (Non !), Païkan avait décidé de la sauver à son insu. Il l’a donc assommée et ramenée au scientifique Coban, préférant la savoir en vie sans lui que morte avec lui.
Tentative de réveil du deuxième personnage et dénouement
Après avoir écouté l’histoire d’Eléa, Simon et ses collègues décident enfin à réveiller l’homme qui a nettement besoin d’une transfusion sanguine à cause de ses blessures. Eléa lui donne de son sang.
Mais après réflexion et pendant la transfusion, elle décide de refuser la proposition que lui donne Simon de refaire sa vie avec lui. Alors, elle s’empoisonne secrètement, et par la même occasion, empoisonne l’homme qu’elle pense être Coban et qu’elle juge responsable de son malheur.
Et pourtant, ce n’est pas l’éminent savant qu’elle tue avec elle, mais plutôt Païkan. Ne pouvant se résigner à vivre sans elle, il avait tué Coban et pris sa place dans la sphère de biostase. Leurs cœurs cessent de battre en même temps. Simon en prend conscience trop tard : ne sachant s’il existe un antidote et si on pourra l’administrer à temps, il préfère ne pas prévenir Eléa de sa méprise. Les deux amoureux meurent et les documents furent détruits.
Au même moment, les scientifiques sont trahis par l’un d’entre eux et la base, sabotée, doit être évacuée. C’est avec le cœur brisé que Simon rentre chez lui, complètement indifférent aux bruits de guerre qui se déchaînent partout sur Terre. Toutefois, autour de la planète, des étudiants crient « Pao ! Pao ! » afin de s’opposer à la guerre.
Les personnages principaux de La Nuit des temps
Dans La Nuit des temps, il existe deux groupes bien distincts de personnages : les personnages du présent et ceux du passé. Par ailleurs, les chapitres séparent les évènements passés ainsi que les évènements présents, même si les deux personnages principaux passent souvent de l’un à l’autre.
Les Gondas
Il y a 900 000 ans, les habitants de Gondawa vivaient dans un Antarctique tropical du fait de l’inclinaison différente de la Terre. En effet, à cette époque, la planète était penchée de 40 degrés de plus par rapport à sa position actuelle. Les Gondas exploitaient l’énergie universelle qui leur offrait tout ce qui était nécessaire à leur confort. Mais cela leur a aussi permis de concevoir l’Arme Solaire qui détruisit toutes les civilisations existantes.
Les citoyens recevaient un « revenu universel » en énergie universelle pour qu’ils puissent avoir tout ce qu’ils désirent en la transformant en matière. Ils n’étaient pas obligés de travailler, cependant, les non-travailleurs recevaient des salaires plus bas. Dès leur venue au monde, ils étaient enregistrés dans des bases de données et appariés rationnellement à un autre Gonda.
Parmi les personnages du passé de Gondawa, il y a trois personnages clés essentiels :
Eléa
Eléa symbolise l’innocence et l’amour. Elle a été choisie comme l’une des femmes les plus parfaites de Gondawa et pour entrer dans l’Abri, capsule permettant à deux individus de survivre à l’Arme Solaire. Bien avant cela, la jeune femme était unie à Païkan et ils s’aimaient d’un amour inconditionnel et pur. Seulement, l’homme qui devait l’accompagner dans cet Abri n’était pas son compagnon, mais plutôt Coban, puisqu’il était le seul à savoir les choses qu’il fallait conserver à tout prix. Malgré elle, elle se retrouva dans l’œuf et se réveilla 900 000 ans plus tard, dans un univers entièrement différent et où Païkan n’existait plus.
Païkan
Il n’est certainement pas un personnage du présent et pourtant il possède une grande présence grâce à l’amour que lui porte encore Eléa. Elle essaya de la sauver de l’Abri par tous les moyens, mais quand il comprit que c’était finalement le seul moyen de la sauver, il la persuada d’entrer dans la Sphère. Lorsque l’Arme Solaire entre en action, Païkan se dispute avec le savant Coban, le tue et entre lui-même dans la Sphère. Malheureusement, le jeune homme avait de graves blessures et il ne pouvait survivre que si sa bien-aimée lui apportait son aide.
Coban
Ce savant caractérise la sagesse et le savoir. Il est le plus reconnu des chercheurs de Gondawa et le directeur de l’université. Souhaitant protéger la vie en général, il fit construire l’Abri et y introduisit le savoir de Gondawa. À l’inverse d’Eléa, il refuse de se laisser guider par les sentiments. Il est même prêt à abandonner sa fille unique à son triste sort.
Les Enisors
Enisoraï était une nation moderne et rivale de Gondawa. Peuplée par les ancêtres des natifs américains, elle occupait le continent qui deviendra les Amériques, dont la géographie a été chamboulée par le cataclysme.
Il s’agissait d’une nation impérialiste et militariste qui niait l’individu. Sa supériorité démographique incita les Gondas à se servir de l’Arme Solaire, ce qui a annihilé le monde.
Les personnages contemporains
Contrairement à la symbolique utilisée pour les personnages du passé, l’auteur a prêté attention sur le fait de regrouper tous les pays pour les personnages modernes. Sûrement, il a voulu ainsi parler « d’humanité » et non de race ou de nation. Bien évidemment, le récit a son héros, qui est Français, mais c’est son cœur qui est mis en avant et le cœur est le même chez tous les humains. En optant pour Simon comme héros, René Barjavel a choisi l’humanité entière plutôt qu’une seule et unique personne.
Docteur Simon
Ce jeune homme de 32 ans, de corpulence mince, est le personnage principal du roman. Son père qui est également médecin lui avait appris les fondements de sa profession. Il haïssait son métier et lorsque l’occasion s’était présentée (partir et ne soigner que très peu de gens), il a pris son destin entre les deux mains. Au cours de l’histoire, Simon montre ses sentiments les plus intimes au lecteur, lui donnant ainsi l’opportunité de faire partie de ses pensées. Fou amoureux d’Eléa, le jeune homme est déchiré et impuissant. Son amour pour cette magnifique femme trouvée sous mille mètres de glace va le ronger et le mener jusqu’à la mort.
Joe Hoover
Ce chimiste est le chef de la délégation américaine. Son personnage est la caricature parfaite de l’Américain moyen, raciste, obèse et machiste par bêtise. Au fil du récit, il a pourtant l’opportunité d’utiliser ses méthodes de cow-boy à bon escient. Il finit par épouser Léonova.
Léonova
Cette anthropologue est la chef de la délégation soviétique. Au début, elle semble être la militante marxiste parfaite, mais sait faire abstraction de son idéologie dans l’intérêt de l’humanité.
Lukos
C’est un philosophe turc qui a inventé la Traductrice. Il trahit ses collègues en essayant de voler l’Équation de Zoran, source de l’énergie universelle. On ne saura jamais pourquoi ni à qui il obéissait, car il se suicide après avoir posé des mines dans la base.
Docteur Lebeau
Ce personnage est également un médecin français.
Hoï-To
Ce physicien japonais sera assassiné par Lukos au terme du roman
Analyse de l’œuvre de René Barjavel
Une civilisation utopique
Comme il est dit plus tôt, La Nuit des temps a été publié en 1968. René Barjavel y retranscrit l’actualité politique de cette époque. Les tensions entre Gondawa et Enisoraï qui est implanté géographiquement à la place des États-Unis, dont écho au conflit est-ouest. Les mouvements pacifistes d’étudiants Gondas rappellent ceux qui avaient lieu contre la guerre du Vietnam avant mai 1968.
L’auteur dépeint le monde perdu d’Eléa telle une société utopique. Les richesses sont distribuées de manière équitable selon un système clé : chaque citoyen doit travailler la moitié d’une journée tous les cinq jours. Leurs connaissances dépassent de très loin les nôtres, mais la nature de l’homme est toujours aussi dévastatrice. En seulement une heure, la troisième guerre opposant Gondawa et Enisoraï a fait plus de 800 millions de victimes. L’Arme Solaire, qui est sûrement une référence à la bombe atomique, a entièrement détruit leur civilisation.
L’instance narrative plutôt complexe
L’auteur vient nous livrer une narration assez complexe, car elle passe d’un style à une autre. Effectivement, quand il est question des récits du passé ou du présent, Barjavel est à l’extérieur de l’histoire et utilise la troisième personne. Il nous parle de tous les personnages, mais ne nous dévoile les pensées que de quelques protagonistes (Coban, Eléa, Païkan, Simon…). Le narrateur est neutre par rapport au récit, même si l’on sent une délicate lassitude face aux réactions humaines.
En revanche, quand il s’agit des discours de Simon, le narrateur bascule à l’intérieur du récit, utilise la première personne et devient donc le docteur Simon. C’est comme si le narrateur nous lisait les lettres que le jeune homme aurait écrites à l’intention d’Eléa. Ses discours, prononcés exclusivement par lui-même et où aucun autre personnage n’intervient, sont orientés vers Eléa. Et dans chaque mot de ces discours, on sent de façon croissante à quel point ses sentiments pour la belle femme sont à la fois douloureux et immenses. Ici, le narrateur n’est plus neutre, il est incapable de demeurer impartial.
Ainsi donc, la narration passe de l’une à l’autre : à la première personne afin de mieux comprendre la douleur de Simon et à la troisième personne afin de comprendre le tendre amour de Païkan et Eléa.
L’amour, thème principal du roman
C’est essentiellement autour de l’amour que tourne tout le récit. Dès les premières lignes, on sait qu’il y a une histoire d’amour, forte et belle, mais on sait aussi d’emblée qu’elle est impossible. L’amour entre Eléa et Païkan, l’amour à sens unique de Simon pour Eléa, la Désignation (cérémonie qui désigne l’âme sœur en Gondawa) ainsi que l’amour que ressentent finalement les scientifiques à l’humanité à la fin du roman.
Eléa ressent un amour infini pour Païkan, un amour qui traverse les siècles et dont elle ne peut se défaire. De son côté, Simon aime Eléa de ce même amour. L’amour impossible du médecin, prisonnier du présent, pour Eléa, elle-même prisonnière du passé. On peut associer le couple Païkan-Eléa au mythe de la Belle au bois dormant, sauf qu’ici, il n’existe pas de prince charmant au réveil. On peut aussi y associer celui de Tristan et Yseult, le mythe d’un amour que même la mort ne peut détruire. C’est Simon qui réunira le couple et qui laissera Eléa et Païkan mourir, main dans la main, sacrifiant ainsi le sentiment d’amour qu’il ne pourra plus jamais ressentir.
Pour être franc, je ne suis pas un grand amateur de science fiction et je crois que j’aurais snobé Barjavel pendant encore de nombreuses années si une âme bienveillante ne m’en avait pas fortement recommandé la lecture ! Je dois donc la remercier car cette lecture a été un vrai bonheur et c’est avec tristesse que j’ai dû refermer ce livre. La nuit des temps fait incontestablement partie de ces livres dont on souhaiterait pouvoir prolonger l’histoire indéfiniment.