Fin de partie est une pièce de théâtre écrite par Samuel Beckett en 1957. Elle met en scène quatre personnages physiquement affaiblis dans une sorte de monde apocalyptique, où il ne se passe rien et où ils souhaitent en finir. Bien que souvent associée au théâtre de l’absurde, Beckett conteste cette classification. Découvrons ensemble cette œuvre sombre du XXème siècle de ce dramaturge irlandais.
Résumé détaillé de Fin de Partie de Samuel Beckett
L’ouverture de la scène
Dans une pièce sombre et vide, Hamm est assis au centre, recouvert d’un drap, tandis que Clov se déplace avec difficulté. Riant brièvement, Clov ouvre les rideaux des fenêtres. Il jette un coup d’œil à l’intérieur des deux poubelles présentes dans la pièce, cela le fait rire. Finalement, Clov retire le drap qui recouvre Hamm, qui semble dormir. Il rit une fois de plus avant de se tourner vers le public.
Quatre personnages qui souffrent
Clov semble résigné et parle de la fin qui approche. Il explique qu’il va attendre dans sa cuisine qu’Hamm le siffle. Ce dernier se réveille et se demande si sa misère est plus grande que celle des autres. Il appelle Clov, qui revient aussitôt. Hamm exprime son désir d’aller se coucher, mais Clov lui rappelle qu’il vient de le lever. Hamm parle de ses yeux d’aveugle et demande à Clov s’il a déjà essayé de les voir, celui-ci avoue qu’il n’a jamais essayé de le faire. Ils échangent plusieurs banalités avant de parler de leur situation et de leur état physique. Hamm est aveugle et tétraplégique, tandis que Clov, son serviteur, a ses jambes qui le font souffrir, il a du mal à voir et ne peut plus s’asseoir. Hamm se sent bizarre et Clov est agacé par toutes ses questions. Si ce dernier reste auprès de son maître, c’est qu’il n’a nulle part où aller. Il finit par quitter la pièce, laissant Hamm avec deux poubelles. Dans ces dernières se trouvent les parents de Hamm, Nagg et Nell. Ces derniers parlent de leur passé, de leurs souvenirs, et se plaignent de leur vie actuelle. Ils ont une mauvaise vue et la sciure de leurs poubelles n’a pas été changée. Nagg raconte une histoire drôle qui, à l’époque, faisait rire sa femme, mais celle-ci ne rit plus comme avant. Agacé par leur bavardage, Hamm leur demande de se taire. Il demande à Clov d’enlever les poubelles et de les jeter à la mer, mais Clov s’arrête et constate que Nell n’a plus de pouls. Sans faire attention à ce que lui dit son serviteur, Hamm lui demande son calmant, mais Clov lui dit qu’il est encore trop tôt.
Une vie monotone sans horizon
Hamm demande à Clov de le promener dans son fauteuil. Ils discutent ensuite de la nécessité d’un fauteuil roulant équipé de grandes roues. Après avoir longé les murs et fait le tour de la pièce, Hamm demande à Clov de le ramener au centre. Étant aveugle, Hamm fait confiance à Clov pour le positionner à l’endroit souhaité. Par la suite, Hamm demande à Clov d’observer le monde extérieur à travers une lunette afin qu’il puisse lui décrire ce qu’il voit. Clov y voit un paysage gris et monotone. Hamm propose alors qu’ils partent tous les deux vers le sud sur un radeau, mais Clov refuse de l’accompagner. Finalement, Hamm imagine un futur où il serait, tout comme lui, aveugle et incapable de se mouvoir.
La mort de Nell
Hamm et Clov abordent divers sujets de conversation, tels que la vie, la mort et le temps qui passe. Hamm demande à Clov de mettre son chien en peluche debout, ce qui ne fonctionne que lorsque Clov le maintient. Ils se remémorent le passé en évoquant des moments heureux et tristes. Constatant que Clov semble de plus en plus déterminé à partir, Hamm propose un stratagème à l’aide d’un réveil pour vérifier si Clov est vraiment parti ou s’il est simplement mort dans la cuisine. Voyant que Clov ne veut pas écouter son histoire, Hamm demande à son père, Nagg, s’il souhaite l’entendre. Celui-ci accepte en échange d’une dragée. Hamm raconte alors son histoire, et à la fin, Clov remarque un rat dans la cuisine. Nagg réclame sa dragée, mais Hamm exige qu’il prie d’abord Dieu. Finalement, Hamm avoue à son père qu’il n’y a plus de dragée, et Nagg retourne dans sa poubelle. Après avoir échangé sur différents sujets, Clov informe Hamm que sa mère, Nell, semble être décédée. Son père, quant à lui, est en train de pleurer.
Le départ de Clov
Hamm demande à Clov de vérifier si son père a entendu ses appels, ce qu’il confirme. Alors que vient l’heure du calmant, Clov annonce à Hamm qu’il n’y en a plus. En jetant un œil à l’extérieur, Clov aperçoit un enfant. Il pourrait être mort, mais Clov ne peut en être certain. Après avoir échangé sur divers sujets, Hamm demande à Clov de le couvrir avec un drap. Ce dernier refuse et finit par quitter les lieux. Se rendant compte qu’il est tout seul, Hamm s’adresse à son mouchoir en disant qu’il compte le garder, et le rapproche de son visage.
Présentation des personnages
Hamm est un personnage aveugle et paralysé, incapable de se lever de sa chaise roulante. Il dépend de Clov, son serviteur et compagnon, pour accomplir les tâches quotidiennes. Bien qu’il soit souvent perçu comme tyrannique et égocentrique, il est également vulnérable et impuissant. Sa relation avec son serviteur est complexe et ambivalente : il l’apprécie autant qu’il le hait. Hamm maltraite ses parents en les enfermant dans deux poubelles. Il symbolise à la fois la dépendance humaine liée au vieillissement et la peur de l’abandon. Son nom peut être interprété de différentes manières, avec des références à Hamlet, au mot anglais “hammer” (marteler) ou à “ham” -que l’on peut traduire par cabotin (Personne qui cherche à se faire remarquer par des manières affectées)-, mêlant ainsi des aspects tragiques et comiques. Hamm est comparable à un roi factice, un être autoritaire doté d’attributs parodiques de la royauté, rappelant étrangement le Roi Lear de Shakespeare.
Clov est décrit comme un homme d’âge moyen, sec et maigre. Il est le seul personnage à pouvoir se mouvoir dans la pièce. Toutefois, il a du mal à voir, se déplace avec difficulté et souffre également de douleurs physiques (jambes). Ce serviteur est condamné à rester debout et à servir Hamm. Le duo qu’ils forment rappelle les couples maître-valet du théâtre du XVIIIe siècle, comme dans les œuvres de Beaumarchais et Marivaux. Le nom de Clov pourrait venir de l’allemand “clou“, suggérant son infériorité et son lien indissociable avec Hamm. Il symbolise la condition humaine et l’absurdité de la vie, tels que présentés par Beckett. Son travail monotone et sa vie routinière reflètent la banalité de l’existence humaine, tandis que son incapacité à trouver un sens à sa vie et à son travail renforce l’idée que tout est vide et insignifiant. Étant encore valide, il peut abandonner son maître facilement et pourtant, même s’il dit qu’il compte le faire tout au long de l’intrigue, il ne le fait qu’à la fin de la pièce. Certaines interprétations prétendent que l’histoire que raconte Hamm à son père, concernant un garçon qui aurait été recueilli par un homme, serait celle de Hamm et de Clov. Ainsi, on arrive mieux à percevoir pourquoi Clov ne peut se séparer de son “maître“. D’autre part, à la fin de la pièce, Clov s’en va et Hamm remet son mouchoir sur le visage. La scène de fin ressemble à la scène du début. Nous pouvons alors supposer que Clov n’est parti que le temps de la nuit et qu’il va revenir le lendemain. Clov est donc soumis à un éternel recommencement où la mort seule pourra être en mesure de le libérer. Clov représente la résistance face à la mort imminente. En effet, malgré les souffrances physiques qu’il endure et les répétitions absurdes de sa routine quotidienne, il continue à chercher un sens à sa vie et à se battre pour sa survie, ce qui est en soi une forme de résistance.
Nagg et Nell sont les parents biologiques de Hamm, et partagent de nombreuses similitudes avec leur fils et Clov. Tous deux sont enfermés dans une poubelle et n’apparaissent qu’occasionnellement au cours de la pièce. Ces deux personnages décrépits ont une existence plus proche de celle des animaux que des êtres humains. Ils incarnent la dégradation de l’humanité face à la vieillesse et au temps qui passe, ainsi que la dépendance et la relation conflictuelle entre les générations. Leur nom est composé de la même structure : un “N” au début et une fin avec une double consonne, soulignant leur ressemblance physique et symbolique. Ils souffrent de la même infirmité et sont complètement déshumanisés, leur existence ne se résume qu’à assouvir leurs besoins primaires. Ils ont donné naissance à Hamm, mais sont maintenant complètement dépendants de lui et ont besoin de son aide pour se nourrir et pour que Clov change la sciure de leur poubelle. La mort de Nell met en évidence leur existence pathétique et désespérée. Nell est la première à prendre conscience de l’absence d’espoir, montrant qu’elle n’arrive plus à trouver un sens à sa vie actuelle. Elle meurt après avoir écouté une histoire qui autrefois l’amusait, mais qui l’ennuie maintenant au point d’en mourir. Nagg ne meurt pas, mais ses pleurs accentuent la position inconfortable dans laquelle il se trouve : se raccrocher à un espoir avant qu’il ne soit trop tard, tout en ayant conscience que rien ne va réellement changer. La mort de sa femme met en évidence l’aspect inéluctable de sa propre mort, renforçant ainsi la portée symbolique de ces personnages.
Analyse de l’oeuvre
Bien que l’auteur ne se considère pas comme un auteur de l’absurde, Fin de partie de Samuel Beckett est un exemple de ce genre théâtral né au XXe siècle suite aux bouleversements causés par les deux guerres mondiales.
Avec sa pièce, Becket rompt avec les normes théâtrales :
- un seul acte ;
- aucun cadre spatio-temporel ;
- aucune intrigue ;
- des personnages sans identité.
Becket mélange subtilement le comique et le tragique de façon à ce qu’il ne soit pas possible d’attribuer un genre précis à son œuvre théâtrale.
Une dimension biblique
À l’instar de l’arche de Noé, les personnages de Fin de Partie fonctionnent par paires : Clov-Hamm et Nagg-Nell. Cependant, contrairement à l’épisode de la Genèse qui représente l’espoir pour l’humanité, ce dernier semble s’être perdu en mer dans cette œuvre. De plus, Samuel Beckett déconstruit les conventions théâtrales en favorisant l’abstraction et en rejetant le réalisme. Malgré son caractère artificiel et dépourvu de sens, le langage devient le seul moyen de générer de l’action dans la pièce. Cela peut être considéré comme une référence biblique, rappelant “Au commencement était le Verbe…” (Nouveau Testament, Jean 1:1). Ironiquement, les personnages de Fin de Partie se trouvent plutôt en fin de vie.
Une pièce très sombre
La pièce Fin de Partie de Beckett est marquée par la dégradation, la décomposition et la déchéance des corps des personnages. Beckett insiste sur les détails physiques ou physiologiques les plus détestables, faisant du corps un objet de dégoût. Les personnages ne suscitent qu’aversions, leur état physique et leur santé se détériorent constamment. La mort est le seul moyen pour eux de se libérer de cette vie pathétique, une nouvelle porte qui les délivre de la souffrance. En effet, la mort est omniprésente et perçue comme le seul avenir envisageable. Les personnages méprisent la vie, la considérant comme une malédiction, et aspirent à la fin des temps. Ils rejettent la paternité et tout ce qui pourrait renouveler l’humanité, regrettant d’avoir survécu à un désastre mondial. Ils attendent impatiemment l’apocalypse.
Un éternel recommencement de souffrances
La pièce est marquée par un malaise constant et par l’absence de tout espoir. Les relations entre les personnages sont mortes, à l’instar de cette nature qui les entoure. Vivre est une longue épreuve de souffrances ininterrompues. Toutefois, malgré le nom choisi par Beckett, la pièce ne montre pas la fin, elle laisse les personnages dans leur état de décrépitude. Ainsi, on peut supposer que Nell, la mère de Hamm, va se réveiller le lendemain pour revivre le même genre de scène. Les personnages semblent être condamnés dans une sorte d’éternel recommencement où la souffrance est reine. Tout comme Clov qui n’arrive pas à quitter Hamm, les personnages n’arrivent pas à quitter cette vie qu’ils haïssent et qui leur fait souffrir. La relation d’interdépendance entre Hamm et Clov, mêlée de haine et d’affection, peut symboliser la relation d’interdépendance que les différents personnages entretiennent avec la vie. D’ailleurs, le terme “partie” peut faire référence à un jeu : une partie de cartes, une partie d’échecs, etc. Ici, le roi est représenté par Hamm. D’ailleurs, le roi aux échecs est celui qui est le moins mobile. Bien qu’il soit considéré comme un “pion“, Clov peut s’apparenter au “fou” ou à la “reine“, dans la mesure où il peut se mouvoir dans toutes les directions possibles de la pièce. Il est également celui qui protège Hamm. En effet, ce dernier est destiné à mourir si Clov disparaît. Toutefois, comme dans toute fin de partie, peu importe les pièces, elles finissent par être rangées dans la même boîte. Ceci est clairement illustré dans cette fin énigmatique de l’œuvre de Beckett.
En créant un style théâtral où tout repose sur la mise en scène et l’illusion, Beckett semble vouloir aller au-delà de l’abstraction. Fin de partie intègre divers éléments de spectacle tels que le chant, le cirque, la danse et la poésie. De ce fait, cette pièce s’insère dans le mouvement du théâtre de l’absurde, en rejetant les conventions traditionnelles afin de mieux représenter l’irrationnel et le destin tragique de l’humanité, dénuée d’espoir et de croyance.