L’Inondation est un roman court publié en 1929 par l’écrivain russe Evgueni Zamiatine. Il raconte l’histoire de Sofia, une femme mariée sans enfant qui adopte une jeune orpheline, Ganka. L’arrivée de cette dernière dans la vie de Sophia (Sofia) met à mal son mariage, et finit par conduire à une catastrophe. Analysons cette œuvre littéraire du XXème siècle ensemble.
Résumé chapitre par chapitre de L’Inondation de Evgueni Zamiatine
Chapitre 1
Dans un contexte d’après-guerre sur l’île Vassilievski en Russie, Trofim Ivanytch et Sophia traversent une période difficile après douze années de vie commune. Leur relation est ébranlée par leur incapacité à avoir des enfants. Face à cette situation, Sophia propose d’adopter Ganka, une jeune fille que Sophia enviait secrètement. Cette décision semble apporter un nouvel espoir au couple.
Chapitre 2
Alors que Trofim Ivanytch se réjouit de l’arrivée de Ganka, Sophia se sent progressivement isolée. Elle est déroutée par les discussions entre Ganka et Trofim et se retire dans la spiritualité, mais rencontre des conflits religieux. La tension monte lorsqu’elle surprend Ganka et Trofim dans une situation compromettante. Sophia se retrouve de plus en plus à l’écart, une situation exacerbée par les demandes de Trofim concernant leur arrangement de couchage.
Chapitre 3
Sur l’île étouffante, symbolisée par une mouche captive, des tensions non résolues persistent. Malgré les avertissements concernant Ganka, Sophia garde le silence, créant une atmosphère lourde et chargée. Lors d’une inondation, Trofim et Sophia sont forcés de cohabiter dans un espace restreint, chez leur voisine du dessus, suscitant une tendresse renouvelée, mais fragile entre Sophia et Trofim.
Chapitre 4
Sophia est déchirée par des émotions contradictoires face à Ganka et finit par commettre un acte impensable de violence. Elle tue la jeune fille à coups de hache. Dans un état de choc, mais aussi de soulagement, elle dissimule le crime, essayant de reprendre une vie normale malgré le poids de son terrible secret.
Chapitre 5
Alors que Trofim Ivanytch recherche Ganka, une tension palpable s’installe. Malgré la disparition de Ganka, une connexion semble renaître entre Sophia et Trofim, marquée par des moments de tendresse inattendus. Mais l’ombre du secret de Sophia plane lourdement sur eux.
Chapitre 6
Sophia traverse une période tumultueuse, marquée par des troubles mentaux et de la nouvelle de sa grossesse. La disparition non résolue de Ganka crée une ombre constante sur le couple, bien qu’ils trouvent du réconfort dans l’anticipation de la naissance de leur enfant. Cependant, Sophia est hantée par des visions et des peurs inexprimées, suggérant un état d’esprit très instable.
Chapitre 7
Après un accouchement prématuré, Sophia est prise de délires fiévreux, revisitant les moments traumatisants liés à Ganka et exprimant des peurs irrationnelles. Dans une confusion profonde, elle avoue le meurtre de Ganka, dévoilant des détails précis du crime. Malgré cela, ses auditeurs sont incertains de la véracité de ses propos. Toutefois, Sophia révèle certains détails qui ne laissent plus planer le doute. Épuisée, elle finit par s’endormir. Inquiet, Trofim se demande si elle n’est pas en train de mourir, mais la doctoresse lui assure qu’elle va s’en sortir. Endormie, Sophia semble avoir trouvé la paix.
Présentation des personnages
Sophia est décrite comme une femme approchant de la quarantaine, au corps léger et austère, gardant souvent les lèvres closes au monde. Elle semble être en proie à des doutes et à des préoccupations concernant son mariage avec Trofim Ivanytch. Elle ressent une certaine insatisfaction et un vide intérieur. Elle représente la maternité et la féminité dans l’histoire. Son incapacité à concevoir un enfant symbolise sa détresse et son sentiment d’inutilité. L’arrivée de Ganka dans sa vie menace son existence en tant que mère et épouse. Elle ressent un fort sentiment de solitude et d’aliénation vis-à-vis de son mari, Trofim Ivanytch, et de Ganka. Une tension émotionnelle habite Sophia tout au long de l’histoire, culminant dans un acte violent à la fin. Le meurtre de Ganka est vécu par elle comme une libération. Sophia symbolise la frustration, la solitude, et la désillusion. Son acte de violence peut être interprété comme une manifestation de sa colère refoulée et de son désir de se libérer de sa vie monotone. Cependant, une révélation importante intervient : sa grossesse change la donne, transformant sa passivité et sa soumission en une force intérieure jusqu’alors insoupçonnée. Néanmoins, cette transformation soulève une question cruciale : Sophia peut-elle réellement trouver l’épanouissement après avoir commis un acte aussi horrible envers Ganka ? Elle est “inondée” de douleur, submergée par les non-dits, et seuls ses aveux peuvent lui offrir une chance de retrouver la paix.
Trofim Ivanytch est le mari de Sophia. Il est décrit comme un homme trapu, arborant parfois une barbe, et ayant un visage buriné couronné de cheveux blancs. En tant que chef de famille, il exige de Sophia qu’elle lui donne un enfant, faute de quoi il envisage de la quitter. Toutefois, alors que Sophia voit en Ganka une nouvelle opportunité de maternité et un espoir de stabiliser leur ménage, Trofim y voit une chance de retrouver sa jeunesse. Il est possible qu’il aspire également à réaliser avec Ganka ce qu’il n’a pas pu avoir avec Sophia : un descendant. Peu à peu, il prend ses distances avec Sophia, aggravant son isolement. Leur vie conjugale est devenue une routine, tandis que sa relation naissante avec Ganka incarne le renouveau. Mais la perte de Ganka le rend taciturne et l’entraîne dans les spirales de l’alcoolisme. Tous ses espoirs semblent anéantis, jusqu’à ce que Sophia lui révèle qu’elle est enceinte. Cette nouvelle ravive l’espoir et apporte du réconfort à Trofim, permettant au couple de retrouver une certaine stabilité. Cependant, le souvenir de Ganka continue de hanter leur relation, comme une ombre planant au-dessus de leur bonheur retrouvé.
Ganka est une jeune fille d’une douzaine d’années. Elle est décrite comme étant mince et blonde, avec une frange coiffée légèrement de biais sur le front. Elle semble être vive, curieuse et ouverte à de nouvelles expériences. Elle interagit principalement avec Trofim Ivanytch, avec qui elle semble avoir un certain attachement. Cette relation naissante n’a pas l’air si innocente qu’on pourrait le croire. En incarnant la jeunesse et la vitalité, Ganka offre une nouvelle vie et de nouveaux espoirs à Trofim. Nous ne sommes pas dans une relation “père-fille” saine. Son intrusion dans la vie du couple apporte des changements et des émotions. Sophia s’aperçoit que son mari est fortement attiré par Ganka. Elle ressent une certaine jalousie à son égard. Outre sa beauté et sa jeunesse, Ganka incarne la tentation de manière irrésistible. Toutefois, même si elle s’offre à Trofim et partage sa couche, elle se rend souvent à la maison abandonnée avec les autres enfants. On peut donc se demander si elle n’est pas en train de jouer sur les deux tableaux pour s’assurer une meilleure perspective de vie. Ganka sait-elle qu’elle est la rivale de Sophia ? Au vu de son jeune âge, on peut se demander si elle n’est pas insouciante. Néanmoins, quoi qu’il en soit, elle apparaît totalement indifférente d’être le point de discorde dans le couple. Avant qu’elle ne se fasse tuer par Sophia, elle est d’ailleurs en train de chanter, heureuse de cette situation. C’est comme si la relation de Ganka et de Sophia, plutôt que d’être une relation mère-fille, était un combat entre l’ancien et le nouveau.
Pélaguéïa et son époux, le cocher, habitent à l’étage supérieur de celui de Sophia et Trofim Ivanytch. Elle incarne la figure de la femme du monde ouvrier, aux allures dépenaillées et désordonnées. Femme large et bruyante, elle a déjà donné naissance à deux enfants. Bien qu’elle se montre suffisamment préoccupée pour mettre Sophia en garde contre les agissements de Ganka, elle ne juge pas nécessaire d’intervenir davantage. Le couple illustre parfaitement ces voisins au quotidien banal, restant en marge des tracas qui accaparent Sophia et Trofim Ivanytch.
Fiodor est décrit comme un homme à la calvitie. Lors de sa prédiction, il est en sueur. Il est présenté comme un homme dérangé mentalement, prophétisant la venue imminente du Jugement dernier avec une grande intensité. Fiodor symbolise peut-être la folie et la peur collective du chaos ou de la fin du monde.
La doctoresse est décrite comme ayant une forte poitrine et portant un lorgnon. Elle est aussi décrite comme ayant un nez en trompette. Elle semble être une professionnelle de la santé compétente, capable d’évaluer rapidement la situation de Sophia. Elle réagit de manière positive à la perspective de sa guérison. La doctoresse peut symboliser la science médicale et la compétence dans la gestion des problèmes de santé.
Analyse de l’oeuvre
Dans ce roman, Sofia est un personnage complexe et ambivalent. Elle incarne à la fois la victime et le bourreau, subissant la haine et la violence tout en étant responsable de la mort de Ganka. À l’opposé, Trofim se dévoile comme un personnage plus unidimensionnel, un homme faible et lâche dominé par sa passion. Ganka, pour sa part, représente l’innocence et la fragilité, se retrouvant victime des adultes qui l’entourent.
L’Inondation sert de métaphore puissante pour illustrer la haine grandissante et envahissante qui anime les personnages, une haine qui finit par déborder et consumer tout sur son passage. Cette haine est cristallisée en Sofia, une figure marquée par une profonde aliénation due à son incapacité à devenir mère, un manque qui alimente sa jalousie envers sa voisine. La relation toxique et compétitive qui se développe entre elle et Ganka pour l’affection de Trofim n’est que le reflet d’un contexte plus large de violences intrafamiliales et sociales.
La représentation de Saint-Pétersbourg comme une ville sombre et oppressante vient renforcer cette notion de haine omniprésente, illustrant un environnement où la violence est monnaie courante, transcendant les relations personnelles pour imprégner toute la société.
Au-delà de cela, l’œuvre propose une critique acerbe de la société soviétique, dépeinte comme oppressive et totalitaire, où les individus, y compris au sein de la cellule familiale, sont réduits à des pions au service de l’État. Le mariage de Sofia et Trofim est une illustration tragique de cette dynamique, un lien fondé non sur l’amour, mais sur la domination et la soumission. La présence constante et écrasante de la police symbolise un État qui étouffe toute velléité de rébellion, engendrant un cycle perpétuel de haine et de violence.